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Critique de 5Arabella


Nous sommes dans les Sudètes, région frontalière entre la Pologne et la République tchèque, dans un hameau, quasiment désertique en hiver, la plupart des maisons étant des résidences secondaires. le personnage principal, Janina Doucheyko, est une femme à la retraite, ancienne ingénieur et enseignante. Elle a choisi de vivre dans cet endroit isolé sans aucun doute par amour de la nature et des animaux. Elle rend service et se fait un peu d'argent en surveillant les maisons vides et en donnant quelques heures de cours d'anglais à l'école. Lorsque ses deux chiennes disparaissent mystérieusement, son engagement pour la cause animale devient irrépressible, elle en veut particulièrement aux chasseurs. Mais une mystérieuse série de morts se produit aux alentours : après le voisin de Janina, braconnier notoire, c'est le tour du commandant de police, l'un des chefs de file des chasseurs. Janina est persuadée que les animaux sont en train de prendre leur revanche, et elle envoie lettre sur lettre aux autorités pour faire part de ses hypothèses. Sans aucun écho bien entendu, d'autant plus qu'elle appuie ses assertions sur l'astrologie dont elle est férue. Les morts mystérieuses continuent, ce qui se met à provoquer des chamboulements dans le voisinage.

Le roman a un petit côté roman policier, mais assez discret, puisque nous suivons les morts de loin, uniquement par les yeux de Janina, qui n'a que peu accès aux données des enquêtes de police. Il s'agit plutôt d'installer un climat. de même, le côté fantastique, évoqué parfois, est tout de même au deuxième plan, c'est uniquement Janina qui donne des interprétations qui pourraient être de cette nature, mais personne ne partage ses analyses, comme personne ne s'intéresse aux études astrologiques auxquelles elle se livre. Tout cela constituant pour les autres personnages des bizarreries, sympathiques aux yeux des gens qui l'apprécient, signe de dérangement mental pour les autres.

L'essentiel est plutôt le personnage principal, le récit est à la première personne et nous suivons le déroulement des événements par ses yeux. Et c'est par ses yeux que nous découvrons l'environnement dans lequel elle vit, l'état d'une société en toile de fond. le style du livre s'adapte au personnage, qui parle d'une façon imagée, par métaphores, en baptisant les gens de divers sobriquets qui lui paraissent correspondre à leurs personnalités, en répétant certaines choses comme des leitmotivs, en étant très allusive parfois, un peu comme une vieille femme qui se parlerait à elle-même pourrait le faire.

L'aspect qui m'a le frappé est au final une sorte de constat d'impuissance d'une personne (et d'autres personnages du livre en arrière fond) qui quelque part se trouve rejetée sur les marges de la société dans laquelle elle vit, sans pouvoir se sentir utile, et pouvoir avoir la sensation d'agir avec un minimum d'efficacité sur le monde dans lequel elle vit. Les lettres qu'elle envoie massivement aux administrations et tout particulièrement à la police, sans jamais avoir la moindre réponse, en sont l'illustration. L'impuissance qu'elle ressent, qu'elle ressasse, et qu'elle conjure en quelque sorte par l'astrologie, est peut être l'aspect central du personnage. Cela dresse le constat d'une société, qui accule des individus à éprouver cette impuissance, les frustrations qu'elle engendre, et cela d'une façon massive. Alors qu'ils ont des capacités, une énergie, dont ils pourraient enrichir le groupe auquel ils appartiennent, et qu'ils ne demanderaient que cela. Un immense gâchis humain, et pas seulement humain.

J'ai encore fait une belle lecture avec ce livre d'Olga Tokarczuk, peut-être pas le plus fort et le plus marquant parmi ses oeuvres, mais qui mérite largement le détour.
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