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Critique de DonaSwann


Le second tome s'ouvre sur le mariage et le voyage de noces de Kitty et de Constantin Lévine, et sur le début d'une sorte de voyage de noces adultères de "l'imbécile Vronski" (Albert Cohen) et d'Anna, qui débute à Venise, bien sûr. La parenté avec Belle du Seigneur, que Cohen ne cherche pas à déguiser, - j'en prends conscience rétrospectivement, il s'en targue - est éclatante : le même mécanisme y apparaît, avec inversion toutefois des comportements. C'est Vronski qui cherche, en s'étourdissant d'activités dont Anna est l'admiratrice complaisante, puis désespérée, à ne surtout pas s'avouer que la passion qui faisait d'Anna "tout pour lui" est finie, qu'elle est une compagne aimée. On n'en est pas immédiatement sûr : c'est la fin du roman qui disculpe Vronski (pas si "imbécile" que ça) et . Chez Cohen, la fuite de l'épouse se transforme en une cavale, une errance de plus en plus sordide et ennuyeuse, car il dénie à son juif errant la possibilité de s'ancrer dans un fief et de jouer un rôle citoyen, ressource que le propriétaire terrien Vronski se réserve. Les deux auteurs estiment bien évidemment que la situation de l'amant en cavale adultère, désocialisant le mâle, dépasse le déshonneur de la femelle qui n'est pas censée faire un cursus honorum hors de son foyer.

Selon le même principe que dans le tome 1, Tolstoï met en parallèle les deux couples, Kitty/Constantin, Anna/Vronski, amour contre passion, intégration dans la société, exclusion de la bonne société et l'écart entre eux se creuse. le romancier ne cherche pas à donner dans le didactique pour autant, il ne prétend pas que tout soit rose entre Kitty et Constantin, ni que tout aille mal entre Vronski et Anna... Il n'empêche que l'amour résout plus durablement et efficacement les incompréhensions de couple que la passion dans les quelques péripéties que nous rencontrons.

Anna reproche rapidement à Vronski de ne pas l'avoir sauvée d'elle-même, quand elle comprend ce qu'elle perd à mesure que les portes, les plus naturelles parfois, se ferment devant elle ; on pense tout d'abord à de la mauvaise foi, sans être certain qu'elle ait eu les mêmes moyens qu'un homme de mesurer à quel point elle se perdait. Elle se donne de très mauvaises raisons de ne pas divorcer immédiatement avant de comprendre (thèse visible de Tolstoï) qu'il n'y a rien de mieux pour cimenter solidement une passion intrinsèquement entropique, pour ne pas s'attacher à la petite fille qu'elle a eue et pour veiller à ne pas avoir d'autres enfants.

Toujours par ces jeux de parallélismes, son mari, dont les défauts ("l'absence de compétences relationnelles", comme on pourrait jargonner à son sujet) ne sont pas atténués par Tolstoï, bénéficie d'un portrait en nuances tellement humain qu'il est d'une part un chef-d'oeuvre de personnage réaliste, qu'on croirait fait d'après nature (Balzac coiffé au poteau !), d'autre part obtient notre sympathie, malgré l'influence épouvantable de la bigote qui lui court après. Dolly, dont le rôle de mère débordée et d'épouse bafouée prête au stéréotype, bénéficie a contrario d'un traitement soigné qui montre des strates d'humanité ô combien crédibles !

J'aime bien mieux ce deuxième tome, très fin, audacieux (l'éditeur met en notes les nombreuses critiques scandalisées que l'oeuvre, publiée en feuilleton, fit naître), multiple où Tolstoï, comme le fera aussi D.H. Lawrence, sort de l'intimisme pour faire une critique sociale, économique et politique du temps de ses héros.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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