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Critique de Krissie78


Quelle lecture perturbante !

Au cours d'un voyage en train le narrateur partage son compartiment avec plusieurs personnes. Un homme et une femme ne sont pas d'accord sur la question des relations homme -femme, lui combattant la notion romantique de l'amour exprimé par la femme. Un homme prend la parole et commence à raconter comment il en est venu à assassiner sa femme. Seul le narrateur sera le confident de la totalité de l'histoire.

Dans la première partie Léon Tolstoï fait porter par l'auteur du féminicide (Pozdnychev) sa vision du mariage, du rôle de la femme dans la société, de la place des enfants, bref toute sa conception de la vie de couple et de la vie de famille. Plus qu'un récit c'est presque un pamphlet social.

Au début on peut penser qu'il s'agit d'une critique au vitriol du mariage et de la société, avec une vision plutôt féministe. La femme, objet de sensualité et de sexualité, se venge des hommes en usant à leur encontre d'un pouvoir discret mais certain, illustrant le dicton « l'homme propose, la femme dispose », et l'homme qui croit choisir et imposer sa volonté n'est que l'objet manipulé par la femme qui l'a / qu'il a choisi. Quelle peinture acide du patriarcat. Mais ce n'est que la surface car au fond le propos de Tolstoï est d'exprimer une pensée bien plus radicale et bien moins féministe, prônant l'abstinence sexuelle totale, bien au-delà de ce que dicte la religion puisque même le sexe dans le seul but de la procréation doit être aboli, et tant pis si cela signifie la fin de l'humanité (après tout, la religion catholique elle-même ne parle-t-elle pas de la fin du monde ?).

Pozdnychev, parangon du machisme à l'ego surdimensionné, aurait bien besoin d'une bonne thérapie. Aigri par la jalousie (dont on ne comprend pas d'où elle lui vient puisqu'il est même jaloux de son premier enfant parce qu'il est nourri au sein par sa mère), il considère que le mariage ne se conçoit que dans la virginité éternelle de la femme, que seule l'abstinence sexuelle rend sa dignité à l'être humain et que le sexe n'est que vulgarité. A défaut d'appliquer ces principes le mariage n'est que la transformation de la femme en prostituée officielle. Quant aux enfants ils ne sont que des fardeaux tant pour le père que pour la mère, cette dernière ne vivant que dans la crainte qu'il n'arrive quelque chose de grave à sa progéniture. le tout dans une vision de l'homme plus animale que les animaux eux-mêmes.

En lisant « La sonate à Kreutzer » je vais d'étonnement en stupéfaction, de surprise en sidération. J'ai l'impression de découvrir un auteur que je ne connaissais pas alors que j'ai beaucoup lu Tolstoï. Est-ce la pensée réelle et profonde de l'auteur ou de la provocation ? Par quelle crise passaient sont couple et sa vie familiale pour exprimer une pensée aussi radicale ? La postface du livre avec la réponse de l'auteur à ses lecteurs nous éclaire sur ces questions. le livre fit scandale. Sofia, la femme de Tolstoï y répondit en écrivant « A qui la faute ». Leur fils fit également une réponse. Une histoire de famille donc.

Malgré tout, bien que l'angle de la religion soit très présent dans la vision que Tolstoï donne du mariage et du rôle de la femme, on ne peut que constater qu'un certain nombre de questions restent d'actualité plus de 140 ans plus tard. On est loin d'en avoir fini avec l'impact du patriarcat. Un exemple : celles qui clament leur indépendance sur les réseaux sociaux en postant des photos répondant aux codes masculins (pose, habillement) sont-elles si libérées ? (Citation : « Comptez toutes les fabriques. La plupart travaillent à des ornements inutiles, équipages, meubles, hochets pour les femmes. Des millions d'hommes, des générations d'esclaves s'usent à ce travail de forçats dans les fabriques, uniquement pour les caprices des femmes. Les femmes, telles des reines, gardent comme prisonniers de guerre, dans les travaux forcés, les neuf dixièmes du genre humain. Et tout cela parce qu'on les a humiliées en les privant de droits égaux à ceux de l'homme. Elles se vengent sur notre volupté ; elles nous attrapent dans leurs filets. Oui, tout est là ». Autre exemple : quand Tolstoï sous-entend, via Pozdnychev, qu'il faudrait créer une catégorie de femme destinée uniquement à enfanter je songe avec horreur à « La servante écarlate ». Etc.

Bref, difficile de dire si j'ai aimé ou pas tant les idées énoncées m'ont perturbée.
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