AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domm33


"Dans le grand bâtiment du palais de justice, pendant une suspension d'audience du procès Melvinski, les magistrats du siège et le procureur se réunirent dans le cabinet d'Ivan Iégorovitch Chébek, et la conversation tomba sur la fameuse affaire Krassovski. Fiodor Vassiliévitch soutenait avec fougue l'incompétence ; Ivan Iégorovitch ne démordait pas de son opinion; Piotr Ivanovitch,  qui ne s'était pas mêlé à la discussion au début, s'en tenait à l'écart ; il parcourait la Gazette qu'on venait juste d'apporter.
" Messieurs ! dit-il, Ivan Ilitch est mort."

Ainsi commence la nouvelle de Tolstoï "La mort d'Ivan Ilitch"
Commencent aussi les supputations de ses collègues et amis qui voient avec cette mort la possibilité de faire progresser leur carrière ainsi que celle de leurs proches et le sentiment égoïste qu'eux sont bien vivants. Après ce sentiment de joie d'être vivant, les préoccupations quotidiennes, ici s'acquitter de ses devoirs envers la veuve, reprennent le dessus. Qu'à cela ne tienne, une fois la visite faite, rien n'empêchera les magistrats d'honorer l'ordre du jour : la partie de whist prévue pour le soir même.
Egoïsme, mensonges, hypocrisie, le décor est planté dès les premières pages. La mort d'Ivan Ilitch sera le prétexte pour Tolstoï pour critiquer la bonne société bourgeoise russe soucieuse avant tout des apparences et de se conformer au modèle social qu'elle pense être le seul à lui apporter le bonheur.

Après les obsèques, la veuve d'Ivan Ilitch, préoccupée par la façon d'obtenir de l'argent de l'Etat suite au décès de son mari, raconte les souffrances de ce dernier.

Ce préambule passé, Tolstoï nous présente la vie et la carrière d'Ivan Ilitch, et les pensées de celui-ci pendant sa longue agonie.

Jeune, il était déjà attiré par les gens haut placés auxquels il s'efforçait de ressembler. Avec son mariage avec Praskovia Fiodorovna, jeune personne de bonne noblesse, jolie et avec un peu de bien, il entre dans le monde qu'il rêvait mais qui s'avérera bien superficiel.

Puis vinrent les enfants, la jalousie et la mauvaise humeur de Praskovia. Ivan Ilitch s'investit de plus en plus dans son travail. Ambitieux et conscient "de son pouvoir, d'être en mesure d'anéantir n'importe qui pour peu qu'il le voulût", il pensait avoir la maîtrise de sa vie à ce moment là.

Jusqu'à une mauvaise chute. Alors qu'Ivan Ilitch, voulant tout faire "comme il faut", une obsession chez lui, décore sa nouvelle maison devant couronner son succès d'homme riche, emporté par la joie de son ascension sociale, il tombe en accrochant les rideaux...

C'est le début de ses douleurs, de l'inquiétude, de la conscience de l'hypocrisie du monde auquel il voulait tant ressembler, des désillusions devant sa famille qui ne se préoccupe que de ses toilettes ou du désagrément qu'Ivan Ilitch leur apporte en étant malade.

A l'indifférence et aux mensonges de sa famille, s'ajoute l'incompétence des médecins, qui n'est pas sans rappeler l'incompétence évoquée au début de la nouvelle.

Sans diagnostic précis, le malade oscille entre espoir et désespoir, ne sachant pas s'il va vivre ou mourir, ce n'est plus lui qui tient la vie entre ses mains.

Plus l'agonie d'Ivan Ilitch avance, plus celui-ci réfléchit à sa vie passée et se rend compte qu'il est complètement passé à côté de ce qui était important.

En pensant aux joies qui ont été les siennes et qu'il voudrait retrouver et non mourir, il s'aperçoit que ses seuls plaisirs sont liés à son enfance. Que tout ce qu'il a cherché depuis qu'il a commencé la Jurisprudence était vain, faux, et ne lui apportait pas le bonheur. Il prend conscience que plus sa vie passait, plus il se croyait heureux en ayant des postes de plus en plus élevés, alors qu'en fait il s'éloignait des vraies valeurs de simplicité. Plus il croyait réussir et moins il avait de joies. Ses relations professionnelles, amicales et familiales n'étaient que superficielles.

Entouré d'une famille égoïste, de collègues indifférents, Ivan Ilitch se retrouve dans une grande solitude au moment de mourir, à laquelle s'ajoute la colère et un sentiment d'injustice "Pourquoi lui ?"

Dans la famille, seul son fils cadet est touché par la douleur de son père et ressent de la tristesse, peut-être parce que sa jeunesse ne l'a pas encore perverti ? Peut-être que lui trouvera ses valeurs ailleurs, dans plus d'empathie envers ses semblables ?

Un autre personnage est attachant dans cette nouvelle et fait ce qu'il peut pour soulager Ivan Ilitch à la fin de sa vie, c'est son serviteur Guérassime.

Tolstoï était un propriétaire terrien, très proche des moujiks qui travaillaient pour lui, ce qui explique certainement qu'il présente Guérassime comme quelqu'un d'empathique, avec de vraies valeurs, valeurs auxquelles l'auteur est attaché.

Tolstoï, angoissé par la mort qu'il a souvent approchée de près avec le décès de ses parents, sa soeur et plusieurs de ses enfants relate bien cette inquiétude dans cette courte nouvelle.
En peu de pages, l'auteur aborde énormément de notions.

L'écriture fluide rend le texte intime et nous touche de façon réaliste.

La longue agonie, les souffrances physiques et psychologiques et l'extrême solitude du malade sont décrites avec une grande force et j'avoue avoir eu du mal, à la fin, à supporter ces descriptions, accueillant la mort d'Ivan Ilitch comme un soulagement.

Soulagement aussi pour le malade "Il chercha son ancienne peur, sa peur habituelle de la mort et ne la trouva pas. Où était-elle ? Quelle mort ? Il n'y avait pas de peur parce qu'il n'y avait pas de mort.
Au lieu de la mort, il y avait la lumière."

Je remercie Sandrine (HundredDreams) pour avoir proposé cette lecture commune ainsi que les lecteurs qui m'ont accompagnée. Notre ressenti était très proche sur cette lecture et les partages toujours sympathiques et enrichissants furent très agréables.
Commenter  J’apprécie          4520



Ont apprécié cette critique (42)voir plus




{* *}