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Critique de belcantoeu


Les Mémoires d'un chasseur (Записки охотника) réunit vingt-cinq récits publiés d'abord séparément dans des revues, à savoir dix-sept en 1847-1848, quatre en 1850-1851, un en 1852, et trois plus tardifs en 1872 et 1874. La première édition est de 1852. Celle de 1874 contient les nouvelles plus tardives, mais pas toujours dans leur ordre chronologique. Les vingt-quatre premières évoquent souvenirs de rencontres qui montrent une recherche d'échanges avec les autres, tandis que le récit qui sert d'épilogue, La Forêt et la steppe, sorte d'hymne à la nature russe, décrit les propres impressions de chasseur de Tourguéniev.
La première série de nouvelles se ferme en 1851 avec Cassien de la belle Métcha. Tourgueniev déclare alors vouloir passer à autre chose – un roman - et en terminer «pour toujours» avec ces nouvelles, ayant peut-être fait le tour de ses souvenirs de chasse les plus typiques et du message qu'il veut faire passer. Pourtant, il y en eut encore quelques autres, sans compter les projets non aboutis, notamment ceux qui n'auraient pas passé la censure comme le Mangeur de Terre dont il sera question plus loin, le roman projeté, Roudine, ne viendra qu'en 1856, en même temps que L'Auberge du grand chemin qui aurait pu être inclus dans Les Mémoires d'un chasseur.
En France, le recueil parut en 1854 sous un titre fort critique, Mémoires d'un seigneur russe ou Tableau de la situation actuelle des nobles et des paysans dans les provinces russes, titre que désavouera l'auteur. Il a aussi été traduit sous les titres Carnets d'un chasseur ou Récits d'un chasseur. le livre est dédié secrètement à Pauline Viardot, et Tourguéniev lui précise qu'afin d'éviter les rumeurs, «pour le public, il n'y aura que trois étoiles».
En Russie, après les publications dans des revues, ce fut le premier vrai livre de Tourguéniev, qui lui valut un accueil enthousiaste. Les classes cultivées découvrent le côté humain des moujiks et les abus des propriétaires et des régisseurs,… sans compter leur ignorance.
Ce panorama de la campagne russe, marqué par un univers très masculin, montre le narrateur (Tourgueniev) ouvert à l'imprévu de rencontres le plus souvent fortuites, avec des personnages issus de tous les horizons sociaux: serfs, paysans libres et nobles de province, riches ou désargentés, parfois simples, parfois raffinés voire maniérés. Ce sont autant d'occasions de conversations, de récits, de tranches de vie, avec comme arrière-plan la chasse à la bécasse, la perdrix, le coq de bruyère, la caille et le lièvre, sous la pluie ou le beau temps. Tourguéniev en tire des descriptions pittoresques et authentiques qui constituent un véritable hymne à la nature et à la vie des campagnes, notamment des paysans encore sous le joug du servage. Il se remémore les sensations de son enfance, dont voici deux trop brefs exemples:
«Vous partez pour une lointaine partie de chasse en pleine steppe. Après dix verstes de mauvais chemins de traverse, voici enfin la grande route. On laisse derrière soi des auberges avec leurs puits, leurs portails grands ouverts, leurs samovars qui pétillent sous l'auvent ; on traverse un village, puis un autre, des champs à perte de vue. Quelle vision du haut de cette côte ! de blanches églises apparaissent; au loin, dans la plaine, les outardes se suivent à la queue leu leu; un vieux manoir, avec ses communs, sa grange, son verger, se blottit contre un étang minuscule».
‎"Un des grands avantages de la chasse, aimables lecteurs, consiste à passer continuellement d'un lieu à un autre, occupation des plus agréables pour un oisif. A dire vrai, ce n'est pas toujours plaisant (surtout en temps de pluie) de vagabonder par les chemins vicinaux, de couper à travers champs, de demander à tous les paysans que l'on rencontre : «Eh ! l'ami, par où faut-il prendre pour aller a Mordovska?» ... Au bout du d'une dizaine de verstes, quelle déconvenue de se trouver de se trouver non pas devant une hôtellerie, mais dans le misérable hameau de Khoudoboubnov, au profond ébahissement d'une bande de pourceaux qui, vautrés en pleine rue jusqu'au cou dans la fange, ne s'attendaient point à être dérangés !"
Ces souvenirs de chasseur sont l'occasion d'une critique réaliste de la condition des serfs et des caprices et injustices de leurs maîtres. Si la critique est prudente et indirecte, c'est la répétition de ces scènes qui indispose la censure de St Pétersbourg qui refuse son autorisation. Tourguéniev se tourne alors vers celle de Moscou, moins sévère, qui donne son feu vert, mais le censeur Lvov fut démis de ses fonctions tandis que Tourgueniev paiera le prix de ce brulot en 1852, à savoir un mois à la prison suivi de son assignation à résidence dans sa propriété pendant dix-huit mois. Il restera suspect auprès des autorités.
La première édition fut vite épuisée. Une seconde fut interdite en 1856, et il fallut attendre 1859 pour un feu vert de la censure.
La parution a contribué à la sensibilisation de l'opinion russe à la condition des paysans, ce qui va amener, entre autres, Alexandre II à réaliser ses grandes réformes, dont la plus importante sera l'abolition du servage en 1861.
En parcourant ces nouvelles, on voit les maitres qui ont tout pouvoir sur les gens (Karataïev). le destin d'une servante est par exemple à la merci du caprice de sa maitresse qui lui interdit de se marier, tandis qu'un domestique doit aller pêcher dans une rivière où il n'y a pas de poisson (Lgov). Une autre servante est exilée dans un village lointain (Le Comptoir). Il faut voler pour vivre (Biriouk). Parfois, les domestiques deviennent plus corrompus et plus odieux que leurs maitres (Le Rendez-Vous). Vlas est voué à une mort rapide après la mort de son fils, car il ne peut fournir seul le travail exigé par les maitres (Eau de framboise). Voilà pour quelques exemples. Impossible de les citer tous.
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