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Critique de Apoapo


e me retiens à peine de crier au chef-d'oeuvre. Je me retiens, sinon je le hurlerais.
Je commence ce roman, sous de mitigés auspices. Je m'interroge sur toute une série d'originalités incongrues : l'énoncé du théorème de Pythagore en exergue, intelligemment repris dans la répartition des chapitres, une numérotation des paragraphes comme dans certains recueils d'aphorismes ou bien des ouvrages de maths, ce nom de famille, Edmondsson, par lequel le héros narrateur désigne sa fiancée... Les pages avancent presque d'elles-mêmes, où le protagoniste se précise de par son inactivité absolue, sa lubie de l'immobilité. Il reste étendu dans sa baignoire. Les descriptions "visuelles" ("L'écriture visuelle comme instrument d'analyse de la réalité contemporaine", c'est le titre d'un mémoire qu'une étudiante italienne a consacré à J-Ph. T.) de son intérieur sont tellement évocatrices du personnage : pas étonnant que l'auteur se soit ensuite partagé entre littérature et cinéma. Je me surprends, au détour de certaines phrases, à me dire que si j'étais romancier, c'est exactement un tel personnage, dans ce style et dans ce genre de narration que je voudrais créer.
Le personnage se déplace. Il se situe dans une chambre d'hôtel où il passe son temps à jouer aux fléchettes. Je commence à me dire, Tiens, à présent ça sent très fort le Nouveau Roman ; et ce n'est pas parce que j'ai eu subitement le foudroiement que je tenais en main un livre des Éditions de Minuit. On découvre qu'il est à Venise (Ah !, comme le héros de Thomas Mann, tiens, tiens...) et qu'il érige l'immobilité en dogme, en ambition absolue, en Absolu. le Zen ou l'art du jeu des fléchettes...

"62) Lorsque je jouais aux fléchettes, j'étais calme, détendu. Je me sentais apaisé. le vide me gagnait progressivement et je m'en pénétrais jusqu'à ce que disparût toute trace de tension dans mon esprit. Alors - d'un geste fulgurant - j'envoyais la fléchette dans la cible." (p. 83)

D'un sursaut fulgurant je comprends tout : ce n'est pas une posture philosophique, ce n'est pas de l'incongruité narrative ; il s'agit d'une description de la dépression. Mais quelle différence avec la dépression littéraire d'un Dostoïevski, d'un Pessoa, d'un Cioran ! La dépression sans élaboration philosophique. Sans la clinique d'un essai de psy non plus. Réaliste et visuelle. Un documentaire ou bien une pièce théâtrale contemporaine.
Dans la page suivante il est question de cauchemars. Quelques pages plus tard, tombe l'aveu :

"68) Lorsque, le matin, je me réveillais, je voyais la journée à venir comme une mer sombre derrière mes yeux fermés, une mer infinie, irrémissiblement figée." (p. 86)

Et puis il y a Consoler "(to console, not to comfort)" et une citation pascalienne que seul l'anglais sait expliciter dans ce contexte.
Et puis l'action dramatique. Et les relations avec Edmondsson. Et celles avec les autres, le médecin et sa femme, et le réceptionniste, et, rétrospectivement, celles avec les anciens locataires et même celles avec les deux peintres polonais, et encore, à la fois rétrospectivement et par anticipation (anxieuse... !), celles avec l'ambassadeur d'Autriche : tout s'explique à merveille.
Je me sens un imbécile, parce que tout avait été dit dans la fameuse phrase interrompue, la ph. 10) dès la p. 15, cette fameuse phrase qui...
Non, ne me laisser pas vous gâcher la chute ! Elle mérite mieux.
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