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Critique de Tempsdelecture


Le manuscrit de la Giudecca est un roman historique, le personnage sur lequel repose son roman, Girolamo Aleandro ou Jérôme Aléandre, ayant véritablement existé. Toussaint lui-même, dans sa postface, utilise le terme d' »autobiographie fictive », affirmant s'être appuyé au maximum sur les éléments biographiques en sa possession pour monter un récit, qui reste malgré tout, romancé.
C‘est le récit de Girolamo Aleandro, cardinal vieillissant, qui entreprend de conter sa vie tumultueuse. Tout était conçu pour ce que ce roman soit passionnant: la diversité de ses thèmes, plus intéressants les uns que les autres: la Venise du XVe siècle, la présence d'un des plus grands humanistes du siècle, le néerlandais Érasme, les pérégrinations de l'érudit Girolamo à travers l'Europe qui n'a eu de cesse de servir ses maîtres jusqu'à atteindre la fonction honorifique de cardinal, l'apparition de Martin Luther et les premières traces de la Réforme.

Les années passées au sein de la Sérénissime représentent en quelques sortes les années de formation de notre futur homme d'église. À vrai dire, le plus intéressant dans tout cela, ce n'est pas forcément l'évocation de toutes les tribulations, les tocades du jeune Girolamo, c'est davantage l'arrière-plan historique qui dépeint l'une des plus importantes villes, d'une perspective financière, culturelle et politique, de l'époque: dotée d'une véritable indépendance, la réputée et riche république de Venise apparaît tout aussi fascinante qu'enivrante et repoussante à certains égards. Livrée aux mains des Turcs, Toussaint nous plonge dans une ville placée au centre de tous les enjeux géopolitiques de la région, étrillée par les machinations et conspirations des familles vénitiennes, qui souhaitent s'adjuger ne serait-ce qu'un semblant de pouvoir. Venise, vénérable ville où grouille une vie assourdissante et incessante, asservie par un cosmopolitisme marqué. Sans hésiter, ce sont ces pages-là, celles de la Sérénissime, dotées d'une forte portée poétique et picturale, qui revêtent à mon sens le plus d'attrait.

Tour à tour enseignant, secrétaire ou diplomate, Girolamo côtoie les grandes personnalités européennes de l'époque qui sont souvent liées au monde religieux et qui sont souvent empêtrées dans les problématiques politiques. Diplomate, il est celui qui aura en charge d'assurer la communication de son maître auprès des plus hautes instances religieuses ainsi que d'en négocier la promotion. Grâce à son érudition, ses années d'apprentissage à la Sorbonne et ses relations avec les évêques qu'il fréquente, Girolamo n'a de cesse de vouloir compter parmi ces personnalités qui régentent la société en « s'occupant des affaires du monde », en protégeant les intérêts de l'Église étroitement liés à ceux des monarques européens, eux-mêmes tous plus ou moins étroitement liés entre eux. Entre évêques et papauté, il graisse les rouages de ce monde, il possède à la fois un « coeur humaniste et une tête politique ». Et c'est ici que le moine catholique Luther fait son apparition et donne naissance à une forme de contestation théologique. Contestation qui émerge quelques années avant la Réforme, au tout début du XVIe siècle ou des forces grandissantes, ces hérétiques opposés au catholicisme, ses apôtres, sa toute-puissance se font de plus en plus entendre. Ceux qui dénonçaient la corruption du clergé, ceux qui reprochaient à cette Église sa vénalité, son avarice envers les plus pauvres, sa malhonnêteté et surtout sa luxure. Et l'un de ses plus hauts représentants dans ce roman est représenté par Érasme de Rotterdam.

Et la figure marquante de la vie du diplomate, la raison d'être de ce roman apparaît: Érasme de Rotterdam, l'aîné de Jérôme de quelques années. D'abord figure amicale, et amoureuse que Girolamo rencontre dans cette Venise décadente, son aura d'humaniste, son prestige d'homme d'esprit en prennent vite un coup. Bien sûr, Toussaint prend soin d'insuffler à son personnage, et son oeuvre, l'admiration que n'importe quel jeune homme un tant soit peu éduqué peut ressentir pour une telle sommité littéraire, déjà à l'apogée de sa popularité. Mais il me semble que le personnage a largement été déprécié, jusqu'à en devenir, vraiment, un vil personnage, méprisable. Je suis restée avec la pénible sensation que Toussaint a voulu atténuer l'aura du philosophe néerlandais pour avantager son compagnon, Girolamo. Les deux hommes ne cesseront d'évoluer, loin l'un de l'autre certes, mais toujours dans plus ou moins les mêmes cercles professionnels. C'est le personnage principal qui me pose problème, vraiment: que l'auteur ait voulu mettre en exergue les qualités de son protagoniste, à travers sa carrière de diplomate puis de prélat, à travers sa réappropriation culturelle de l'Antiquité par les auteurs européens, il n'y a pas de doute. Qu'il ait réussi à faire de lui une personnalité marquante, cela reste plus discutable. Effectivement, Toussaint s'est servi d'un arrière-plan politique, géographique, culturel exceptionnel, ainsi que de personnages du même acabit, le fond de l'histoire apparaît quant à lui moins brillant. Même si l'auteur a eu à coeur de nous présenter l'humaniste néerlandais à la fois en tant qu'homme et auteur, qui se préoccupe au fond des petites mésententes d'Érasme, de ses querelles, de ses coup-bas? On image bien qu'en dépit de son don et son oeuvre, il possède les mêmes faiblesses que tout à chacun. Les personnages sont à mon sens mal ou peu exploités, Girolamo est un de ces protagonistes sans saveur. Comme je l'ai écrit plus haut, (presque) tous les ingrédients étaient là pour faire de ce récit un roman passionnant. La mayonnaise n'a clairement pas pris.


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