Etre adulte était facile, bien plus facile qu'elle ne l'aurait cru. Il était facile d'avoir les idées claires et de faire attention, de se déplacer calmement et de réfléchir avant de parler.
Ils allèrent ensemble au verger, où Emmy ramassa les pommes que le vent avait fait tomber et les croqua avec l'avidité propre aux exilés de retour chez eux.
Cette nouvelle année était en train de bouleverser sa conception du printemps tout entière. Elle l'avait considéré jusqu'alors comme le reniement de l'hiver, un aiguillon vert transperçant l'armure rouillée d'un tyran. Elle le voyait désormais comme un enfant venant doucement détacher le casque du vieux guerrier et caresser ses joues rugueuses; En février, il y eut une courte période de beau temps. Elle passait des journées entières assise dans les bois où les ramiers roucoulaient de plaisir dans les arbres.
Le sommet de la colline était parsemé de toutes petites fleurs à l'odeur de miel, et ce parfum, associé aux contours austères du paysage, paraissait délicieusement doux et inattendu.
Elle avait changé, et elle le savait. Elle était plus humble, plus simple. Elle n’éprouvait plus le besoin de triompher mentalement de ses tyrans et ne tirait plus satisfaction du sentiment de les avoir outragés en venant vivre à Great Mop. L’amusement que lui avait procuré leur réprobation n’était plus qu’un souvenir d’esclave en fuite, une danse moqueuse loin derrière elle. Il n’était pas question de leur pardonner. De toute façon Laura n’était pas encline au pardon, et ils n’étaient pas responsables du préjudice qu’ils lui avaient fait subir. Pour commencer à pardonner, il faudrait qu’elle pardonnât à la société, à la loi, à l’église, à l’histoire de l’Europe, à l’Ancien Testament, à l’arrière grand-tante Salomé et son livre de prières, à la Banque d’Angleterre, à la prostitution, à l’architecte d’Apsley Terrace et à une bonne dizaine d’autres piliers de la civilisation. La seule chose qu’elle pouvait faire, c’était de continuer à les oublier. Elle était désormais capable de le faire sans chercher à se moquer d’eux.
Comme beaucoup de gens sots, ils avaient un instinct très sûr.
Des filles si vous mangiez
Des orties au mois de mars
Et en mai, l'armoise vous buviez
Jamais perdues ne seriez