Citations sur L'utopie déchue : Contre-histoire d'internet du XVè siècle .. (6)
... il est urgent d'articuler les stratégies classiques à un refus plus radical opposé à l'informatisation du monde... ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'un patch logiciel, d'un bricolage juridique, ni même d'un peu d'éthique. Ce qu'il nous faut d'abord et avant tout, c'est arrêter la machine.
Après un demi-siècle d’informatisation du monde, on pourrait continuer à recycler, sans plus trop y croire, les mêmes discours et les mêmes recettes pour éviter que l’informatique ne nuise aux libertés. Sauf qu’en attendant, nous perdons l’essentiel des batailles. Pendant ce temps, les nuages s’amoncellent.
Or, si l’utopie Internet a aujourd’hui du plomb dans l’aile, si les dystopies qui semblaient l’apanage de la littérature de science-fiction paraissent prendre corps sous nos yeux, ce n’est pas seulement parce qu’Internet est aux avant-postes des mutations du capitalisme contemporain. C’est aussi parce que, face à la crise induite par cette technologie, l’État aura finalement réussi à « passer l’épreuve », en rétablissant des formes efficaces de contrôle des communications. Ce faisant, il parfait aussi l’usage d’une machine informatique toujours plus puissante dans les dispositifs de contrôle social.
Ces nouvelles technologies de communication contournent non seulement les mécanismes disciplinaires en engageant une désintermédiation sans précédent de la prise de parole dans l'espace public médiatique, mais elles apparaissent en outre comme un véritable défi lancé à la souveraineté des États, et donc à l'application de leur loi. Un défi qui tient tant à leurs caractéristiques techniques (extraterritorialité, anonymat relatif, vélocité des flux, etc.) qu'aux pratiques politiques des groupes subversifs qui se l'approprient (des hackers anarchistes aux figures cyberlibertariennes).
(Ch XIV p. 300)
Dans ce mouvement paradoxal, le secret, la surveillance du peuple, la censure, la régulation des métiers du livre et la propagande constituent autant de techniques de gouvernement censées permettre à l'Etat d'imposer ses raisons en échappant à l'impératif de justification et à la controverse, pour ainsi mieux affirmer son autorité.
L'Etat est d'abord et avant tout un type de rationalité. C'est la fameuse "raison d'Etat" qui prend forme à partir du XVIe siècle et qui repose sur cette idée radicale que l'Etat constitue sa propre fin. Il n'est pas un instrument au service de la loi divine ni du "bien commun", mais est principalement régi par l'objectif de son propre renforcement.