Elle n’a aucun pouvoir sur la détermination du sexe de ses enfants. Très croyante, elle entreprend une neuvaine à saint Joseph. Une neuvaine non pas d’une semaine, mais de neuf mois ! Neuf mois… le temps d’une grossesse. Pourtant, à la fin de ces neuf mois, le ciel demeure coi.
Le désappointement le rend imperméable. Il vit la naissance de cette fille comme une trahison de sa femme. Une colère sourd en lui. Un sentiment d’impuissance. Une fille ! Une bouche de plus à nourrir et qui ne rapportera rien ! Une fille… à marier. Il s’appuie contre un pilier de soutien et contemple ses vaches. Cette année, la Grosse Noire lui a donné un mâle. Il y avait vu un signe : sa femme aussi lui donnerait un mâle.
— Viens vite la Louise, j’cré ben qu’Aimée va débouler.
« La Louise ! » Quand son frère la nomme ainsi, elle a l’impression qu’il appelle une de ses vaches ; cela l’horripile. « Débouler ! » Un autre mot qui l’agace. Décidément, Ozias a le don de l’exaspérer. Toutefois, pas le temps de tergiverser sur le vocabulaire de son frère qu’elle juge grossier.