L’esprit travaille de telle façon que, lorsque nous voyons et percevons quelque chose pour la première fois, cela se fait toujours à travers le filtre de ce que nous avons déjà vu.
Bien sûr, nous sommes faits de ce que nous avons oublié, de ce que nous avons cherché à enterrer ou à retrancher. Une part d’oubli est nécessaire et l’esprit travaille à nous protéger de ce qui est trop douloureux ; cela n’empêche pas certains aspects d’un traumatisme de vivre dans notre corps et de se manifester de façon impromptue.
Depuis ce premier rêve, tout au long de ma vie d'adulte, j'ai vécu avec la culpabilité d'avoir été impliquée dans la mort de ma mère - ou plus exactement, avec l'idée qu'elle était morte parce que je ne le suis pas.
« Sais-tu ce que ça fait de porter une blessure qui ne guérit jamais? »
(De l’Olivier, p.12)
Le journal intime était un exutoire essentiel. Ma mère savait que tout ce que j’avais besoin d’exprimer, il me faudrait l’écrire. J’ai toujours aimé le contact des livres, cette façon qu’ils ont de donner litteralement le poids aux mots et d’en faire un objet sacré que je peux tenir entre mes mains.
La jeune fille qui est sortie de cet appartement des heures plus tard n’était plus celle qui y était entrée. C’est comme si la jeune fille que j’avais été était encore à l’intérieur, derrière la porte close, enfermée dans cette séquence vidéo. J’ai souvent vu cette porte en rêve. Elle est enfin devenue un seuil que je peux franchir.
Pendant longtemps, j'ai essayé d'oublier autant que possible ce qui s'est passé pendant ces douze années, entre 1973 et 1985. Je voulais bannir cette partie de mon passé, un acte d'autocréation par lequel je chercherais à n'être constituée que de ce que je décidais de me souvenir. J'ai choisi d'inscrire le mot fin sur l'année qui a suivi notre départ du Mississipi, et le mot début après le moment de la perte - la mort de ma mère.
Regarde-toi. Aujourd'hui encore tu cris que tu peux prendre tes distances avec cette petite fille par l'écriture, en recourant à la deuxième personne du singulier, comme si tu n'étais pas celle à qui tout cela est arrivé. (p13)
J’ai besoin de donner du sens à notre histoire, de comprendre la trajectoire tragique qu’a suivie la vie de ma mère et la façon dont ma propre vie a été façonnée par cet héritage.
C’est plus ou moins à cette période qu’elle a aussi souscrit plusieurs polices d’assurance-vie et, pendant longtemps, j’ai songé qu’elle avait dû se préparer à l’inévitable, s’assurer - au cours de ses dernières semaines - que ses enfants ne manqueraient de rien quand elle ne serait plus là.