Nous avons fini par gravir deux des montagnes sacrées. Notre premier arrêt hors de Beijing a été Taishan, une des plus célèbres d’entre elles. Elle s’élevait de la plaine de telle manière qu’en nous en approchant, nous pouvions la contempler dans son intégralité. Vus de loin, les nombreux temples de la montagne étaient de minuscules taches blanches sur une masse immense de vert et de bleu. Nous étions fébriles à l’idée d’atteindre le sommet plus tard le jour même.
En 1984, mon père a quitté la politique pour nous consacrer plus de temps, à nous, ses enfants. C’était peu après le divorce de mes parents. Ma mère s’était remariée et avait refait sa vie à Ottawa, loin des feux de la rampe pour son plus grand bonheur. Mon père nous avait emmenés avec lui à Montréal, sa ville natale, où il voulait qu’on fasse nos études. Il comptait aussi nous montrer le monde dans toute sa diversité. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous l’avons suivi dans une série de voyages dans les "grands pays du monde".
On part en voyage innocent, me disais-je, mais on en revient sûrement moins naïf.
C’était ça, pour moi, voyager : visiter des lieux où on n’avait jamais mis les pieds mais où on ressentait obscurément le besoin d’aller, pour rentrer ensuite chez soi les bras chargés d’objets extravagants et merveilleux, en être qui a changé, en surface comme en profondeur. Je commençais à comprendre mon père quand il disait qu’il avait parcouru le monde et vu une centaine de pays, à entrevoir comment les voyages nous métamorphosent et à comprendre pourquoi on voyage. Et c’est là, dans mon esprit à tout le moins, qu’a commencé ma carrière de voyageur.
La Chine est entrée tôt dans ma mythologie personnelle pour une autre raison : j’avais été en Chine alors que j’étais encore dans le ventre de ma mère. Mes parents y étaient allés en visite officielle en octobre 1973, et je suis né en décembre. Image saisissante pour le petit bonhomme que j’étais : en Chine, dans le ventre de ma mère…
Là où le potentiel point, la vie n’est encore que néant.
Shao Yong, « Solstice d’hiver », Recueil de poèmes
du batteur de terre de la rivière Yu, xie
Les gars, n’oubliez jamais que les Chinois nous ont longtemps considérés, nous, Occidentaux, comme des barbares. Pensez à votre affaire la prochaine fois si vous ne voulez pas leur donner raison.