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Critique de Henri-l-oiseleur


Un Serbe enthousiaste et libraire, qui vendait de magnifiques livres d'art du temps du communisme sur les fresques des monastères de la Krajina et du Kosovo, maintenant dynamités, me fourra dans les mains l'Ithaque de Crnjanski (Tsernianski), scandalisé par mon ignorance de l'auteur formidable de "Migrations", ce roman-fleuve fabuleux ... Ithaque est une anthologie de poèmes préparée par l'auteur lui-même à partir d'un recueil de 1919, mais chaque poème est accompagné d'une prose intitulée "commentaire". Il ne faut pas s'attendre à une analyse du texte, mais prendre le mot "commentaire" au sens de César : aide-mémoire pour servir à l'histoire de ma vie. Il y retrace les circonstances de composition du poème : essentiellement la guerre, qu'il lui fallut faire de 1914 à 1918 sous l'uniforme autrichien détesté contre la propre patrie, la Serbie. Heureusement l'état-major impérial n'était pas assez fou pour opposer des Serbes à d'autres Serbes. Donc après chaque poème, le lecteur suit les principales étapes de la vie mouvementée du poète, retracées à la diable, sans art apparent, comme diffractées dans un style à base de sensations, d'associations d'idées, d'impulsions. Lire de la poésie traduite est déjà aventureux, mais suivre le narrateur dans ses proses est finalement aussi ardu que lire ses poèmes. Pourtant, une joie, une énergie juvénile émanent de ces textes, même dans les plus atroces récits, et c'est un homme chaleureux, enthousiaste et plein de force qui se dévoile ici.

Un Ulysse en quelque sorte, figure discrète mais essentielle du livre. Les lieux d'exil sont multiples, mais Ithaque est unique. Unique, provinciale, étroite, ingrate, petite. Il faut la quitter encore et encore pour l'aimer dans sa vraie dimension rêvée. Hélas, Tsernianski n'atteint pas la cheville des grands poètes odysséens, comme Cavafy l'immobile, Joyce le travailleur du langage, Séféris l'exilé. Superficiellement, il mentionne Ulysse en passant et puis nous raconte à longueur de pages la destinée de ses cousins et de ses amis, qui a moins de valeur poétique que le roi d'Ithaque.

Je ne puis juger de la traduction, bien sûr, mais le texte français n'est pas au-dessus de tout reproche : une certaine négligence dans l'orthographe grammaticale et l'exactitude des noms se fait sentir. le musée des arts asiatiques de Paris, par exemple, ne s'appelle pas Guillemet. L'auteur signale lui-même, p. 199, que "la vie l'emportera toujours sur la littérature." On peut tomber d'accord ou non avec lui. Mais quand un auteur écrit cela, il se range par là dans la catégorie des écrivains négligents, qui croient que la valeur d'un livre tient à l'intensité des expériences vécues qui y sont racontées, ou pire, que l'auteur a vécues avant de les écrire. Les conséquences littéraires de cette croyance sont funestes, comme on le voit chez Limonov ou Tesson, Kerouac ou Ginsberg, et tant d'autres. le "fond" raconté compte pour eux plus que la "forme", comme ils disent (la langue, le style, le travail de l'artisan du langage). Ils ne se rendent pas compte qu'un siècle après, le lecteur n'aura que leur style, leur "forme", pour juger d'un fond qui ne lui dit plus rien.
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