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Critique de Krout


Mai 1989, je débarque pour la première fois au Japon et y rester un peu plus de 2 mois dans la région de Kobe. Etranges impressions d'où dominent une attirance pour l'harmonie et simultanément un vague, mais profond, sentiment de malaise et d'exclusion en grande partie dus à l'uniformisation qui y règne. Tous ces écoliers en blaser bleu marine et chemise blanche, toutes ces écolières également dans un même uniforme, les hommes strictes copies des men in black -chapeau en moins, cigarette en plus, chaussettes noires, chaussures noires mais non lacées- et pour les femmes le choix entre deux coupes de cheveux.

Les jours de pluie le tout se transformait en une armée de parapluies, fourmis se croisant en tous sens sans jamais se toucher. Je les voyais tous les matins, en files rectilignes impeccables, attendant un train immanquablement à l'heure à la seconde près. Discipline à tous les niveaux ! Ensuite, ils s'y engouffrent dans l'ordre et le calme pour se trouver à l'intérieur serrés et endormis où lisant des mangas. Et moi oppressé et pour cacher mon malaise, je jetais parfois un coup d'oeil au-dessus d'une épaule pour n'en comprendre rien et n'en retenir qu'un graphisme qui ne m'inspirait guère avant de me concentrer sur les rizières et compter les stations.

Depuis, je suis retourné bien des fois dans cet étrange pays pour y noter une modification progressive mais significative de la diversité chez les jeunes et aussi chez les adultes. Est-ce sous l'influence des mangas? Je ne sais, à mon sens non. Mais en 89 il m'était totalement impossible de concevoir un dessinateur surgir plus chaud qu'un syndicaliste devant son brassero, débouler comme un cow-boy défiant la société entière pour défendre son droit et assurer sa vengeance à travers un manga. Et pourtant ...

C'est bien de tout cela qu'il s'agit : du droit à la différence, de la liberté d'expression, du droit à la création, in fine du droit de libre pensée. Au-delà de la cover story qui devient vite un manga dans le manga, Tetsuya Tsutsui s'attarde sur son combat, les difficultés de la vie de mangaka et les risques d'industrialisation pour une production en masse des mangas afin de répondre aux exigences commerciales au détriment de la création littéraire et artistique (à mon avis cela ne se limite pas aux mangas), mais plus que tout posant le choix cornélien entre censure et auto-censure. Dans ce tome, il me donne parfois l'impression d'être dominé par un esprit de revanche et d'un peu trop s'apesantir sur ces propres malheurs ce qui déforce un peu son très louable combat dans l'absolu.

Ceci n'est pas le premier manga que je découvre grâce à mon neveu. Du même auteur j'ai lu la série Prophecy qui débat de l'influence des réseaux sociaux et la montée de l'émotionnel engendrant des comportements irrationnels de masse ainsi que Reset qui se plonge dans l'univers des jeux vidéo et leur possible influence. C'est ce que j'admire dans plusieurs mangas : leur habileté à poser de graves questions d'éthique et dans d'autres leur capacité à développer la profondeur psychologique des personnages. Rares sont ceux qui allient les deux aussi bien que la série Monster de Naoki Urasawa, ce qui n'enlève rien aux qualités certaines du présent tome.

Dans la critique du second et dernier tome le chroniqueur ici présent donnera son avis de non spécialiste sur le graphisme et présentera à la barre du tribunal de la censure un témoignage personnel sans grand espoir mais avec la détermination du colibri pour éteindre la résurgence des autodafés.
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