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Critique de Kirzy


Cette lecture confirme à quel point j'apprécie Karine Tuil et l'acuité pleine de finesse avec laquelle elle s'empare du réel par le prisme romanesque. Avec La décision, elle parvient à composer une tragédie contemporaine absolument passionnante.

C'est d'autant plus remarquable que tout est casse-gueule dans ce roman. Un sujet brûlant : le terrorisme islamisme. Un personnage principal a priori stéréotypé et très chargé: Alma, juge d'instruction antiterroriste, quinquagénaire, en pleine crise existentielle, en crise conjugale avec un mari écrivain sur la descente qui se réfugie dans le judaïsme orthodoxe. Et elle complique artificiellement l'intrigue avec une histoire d'amour entre Alma ( la juge ) et un avocat qui défend un prévenu suspecté d'allégeance à Daesh depuis son retour de Syrie alors qu'elle doit instruire son dossier . Ou comment une pulsion amoureuse pourrait influencer les deux décisions qu'elle a prendre : quitter ou pas son mari ; libérer Abdejalil Kacem au risque qu'il commette un attentat ou l'emprisonner alors qu'il est peut-être sincère dans son repentir et qu'il pourrait se radicaliser en prison ?

Karine Tuil survole ses potentiels écueils grâce à une machine narrative extrêmement précise qui plonge le lecteur en plein coeur des dilemmes de la juge Alma, dans son déroulé mental comme dans ses actions. On est dans sa tête, dans sa quête d'une vérité qui semble à impossible à trouver sans sortir de sa zone de sécurité. On doute avec elle, on varie en permanence sur la bonne décision à prendre concernant le présumé djihadiste. D'autant plus que régulièrement des incises dans le récit nous offre des extraits de son interrogatoire. L'auteur sait secouer les consciences en interrogeant le lecteur sur ses valeurs les plus profondes. Et c'est souvent dérangeant et déstabilisant de se trouver dans cette position aussi immersive car comment déceler la taqiya ( la technique de dissimulation enseignée par Daesh ) ? comment deviner la sincérité ? Derrière la raideur du code pénal, une large place est laissée à l'appréciation du juge. Convictions de chacun, contradictions de la société, tout est passé au scalpel.

Pour peu qu'on suive l'actualité, on n'apprend rien en soi sur les facteurs qui poussent de jeunes Français à se radicaliser, ainsi que le parcours de la violence sociale à la violence idéologique avec une hybridation délinquance / djihadisme qui ont été parfaitement analysés. Au delà de sa capacité à fictionnaliser des faits de société de façon intelligente et accessible, j'ai énormément aimé découvrir le métier de juge d'instruction terroriste qui instruit à charge ou pas pendant des mois en amont d'un éventuel procès. On sent à quel point Karine Tuil a compris les enjeux de ce métier sacerdoce. Alma est dévorée par le poids de la responsabilité, par la charge harassante de travail sur les dossiers, le stress inouï née de la peur de l'agression, de la douleur des familles de victimes. Et puis il y a la terreur de prendre une décision qui aura un impact sur la nation entière. Elle risque à tout moment d'être aspirée dans la noirceur.

Implacablement, la tension monte crescendo rendant le roman inlâchable malgré quelques facilités scénaristiques qui font deviner l'issue. Dans le dernier tiers, le récit devient quasi irrespirable. Les fils des Moires sont vigoureusement tirées comme dans une tragédie grecque malaxant conflits intimes, pression sociétale et urgence du choix . L'intensité du propos étreint le lecteur. J'ai refermé ce roman très secouée.
Remarquable.

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