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Critique de Pibook


Comment un 3 étoiles appréhendé s'avérera un COUP de COEUR cinq étoiles ?
"Je compose d'intenses et jolis manifestes de quinze lignes que je dépose régulièrement sur mon masque social. Celui-ci prend peu à peu la place du paysage écrit que je reconstitue depuis des années. Maintenant, il faut que ça cesse" (page 9).
Dès les premières pages, je suis déstabilisée, pas du tout convaincue que j'embarquerai dans ce qui s'annonce pour moi un long monologue intérieur d'une écrivaine qui s'interroge sur sa démarche de création après avoir été harcelée sur les réseaux sociaux alors qu'elle commentait des sujets d'actualité en résonance avec le mouvement "Agressions non dénoncés" et tout ce que cela a engendré sur son sillage. Au fil du temps, les menaces s'intensifiant et craignant pour sa sécurité, celle-ci partira faire le vide dans un chalet en forêt où il n'y a ni radio, ni téléphone, ni internet.
Ma pensée polluée d'a priori, je tourne les pages à reculons. D'autant qu'au moment où j'écris ces lignes, au Québec sévit une vague de féminicides. Je suis fatiguée, pas envie d'aller là. Voudrais-je à mon tour rompre au silence cette prise de parole ? "Ce serait ben l'boutte", comme on dit chez nous. Je reprend donc ma lecture du début. Voilà qu'un constat s'impose. Élise Turcotte maîtrise son art. Virtuose des enchaînements, elle use de plusieurs niveaux narratifs, mélange les voix, peut-être sources distraction à mon premier contact où des subtilités m'ont échappées. Mais cette fois, la magie opère. Cette petite plaquette de 157 pages est d'une redoutable efficacité. Soudain, je suis happée dans ce qui se révèle un véritable thriller psychologique. C'est l'escalade, on a le vertige tant on est imprégné des malaises, de la menace qui plane et des frayeurs contre lesquelles tente de résister cette femme. On n'est plus du tout dans l'abstrait. La narratrice, après nous avoir dressé un portrait macroscopique d'une société qu'on perçoit trop souvent à l'extérieur de soi, nous aspire dans le goulot d'étranglement de la sphère privée, celle de la famille. Tout le roman repose sur le socle de la colère, celle qu'on refoule pour ne pas faire de vagues pour protéger le sacro-saint tissu familial au risque de le regretter. À quel prix sommes-nous prêt à maintenir la cohésion ?
"Ils ne veulent pas creuser, seulement rayer la surface de la vitre qui me sépare d'eux" . (p 41) "Peux-tu arrêter de t'obstiner avec... ! Ainsi donc, on en revient toujours là : parler est ma plus grande faute. Si je n'avais rien dit, si je n'avais pas été fidèle à ma colère, si j'avais enlevé le sable de mes souliers, aspiré la poussière du présent, penché la tête comme une vraie femme. Mais j'ai parlé". (p 44)
La parole trop "forte" est toujours remise en question. L'écrivaine peut être forcée à se taire, mais une fois seule, les mots qu'elle ne peut dire s'écrivent, prennent formes tangibles sur la page blanche et percutent l'esprit de ceux qui les reçoivent. Oui, heureuse ne pas m'être laissée berner par ... mes a priori !
Masse critique Québec - automne 2021
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