L a nuit, j’ai peur.
L’angoisse s’infiltre en moi pour tailler des tranchées bien à vif.
J’entends les loups hurler, ils se déchaînent derrière leurs barreaux et leur rage me glace le sang. Leur destin scelle le mien.
Je n’ai ni l’envergure ni le courage d’incarner la loi de notre lignée, mais comme je n’ai pas non plus la force de m’y soustraire, je subis le sort que me confère notre histoire familiale.
Mes nuits sont longues, tellement longues.
Bienvenue dans ma vie. Je suis Chloé, j’ai dix-sept ans, et j’ai tellement peur.
Enfin, surtout la nuit.
Quoique.
Surtout, j’ai beaucoup moins peur. Je devrais plutôt dire que j’ai appris à avancer avec ma peur, sans la laisser décider à ma place.
Fallait-il en détruire, des barricades, pour pouvoir l’aimer.
Fallait-il en détruire, des barricades, pour pouvoir m’aimer moi-même.
Dix-sept années passées sans entrevoir, même un instant, cette joie intérieure me font mesurer l'immense gâchis de mon existence.
Un moment de grâce passe de ce côté d'Anturia. Je suis tellement fière de moi ! Ça me fait une drôle de sensation dans les côtes, comme si elles s'ouvraient. Comme si... comme si je sortais de ma chrysalide.
Le chemin est un maître puissant. La destination n’offre qu’une halte pour saisir la force d’inventer un ailleurs lumineux.
Mes pensées créent mon ambiance intérieure.
Enfin, quand je suis seule (pas la nuit, hein, la nuit, c'est différent), je suis cette Chloé qui danse dans les bibliothèques. Celle-là, personne ne la connaît, pas même Annabelle, qui en a juste entendu parler. C'est dommage, car elle est de loin la meilleure version de moi-même. Ma préférée. Elle dégomme mes peurs et laisse de petites étoiles à la place. Lorsqu'elle surgit en moi, c'est la fête ! Je vois le monde en couleurs, j'entends des pulsations dans la roche, je pourrais presque parler aux arbres. Bref, je fais tout un tas de choses étranges qui - c'est incroyable - me rendent très heureuse. Si cette Chloé prenait toute la place, je crois que je serais tirée d'affaire. Mais je ne sais pas comment l'apprivoiser, elle a l'art de décamper en moins de temps qu'un battement de cils. Elle doit être fâchée que je la cache.
Je la découvre enfin, cette petite vibration qui me raconte une histoire d’amour, avec le soleil dedans.
Dans le secret de la roche,
par de là le temps,
l’espoir et le renoncement,
deux guides se rencontrent.