Sans le soleil pour la faire briller
La neige n’est qu’un tapis de givre
Le miroir blanc de la nature
Parfois, même si on s’aime, on aspire à des choses différentes.
Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que Sanae souffrait beaucoup, et qu’elle faisait payer aux autres ce qu’elle se reprochait d’abord à elle.
Quand l’irrationnel est banalisé, c’est la raison qui passe pour une folle.
L’art était un royaume immobile où elle aurait voulu avancer sans personne, avec seulement ses yeux pour voir, et son cœur pour ressentir.
Si tout le monde était mort, elle aurait été la meilleure, n’est-ce pas ? Mais pouvait-on vraiment être la meilleure, si personne n’était là pour le reconnaître ?
Parfois, quand j’ai l’impression d’être dépassée par la vie, je ferme juste les yeux, et je m’imagine dans une pièce magique qui s’ouvre exactement sur l’endroit où j’ai envie d’être.
Alors elle joua, joua, pour elle seule, pour oublier, pour laver toute cette réalité qui la touchait de ses mains sales, elle joua jusqu’à ce que le soleil de son royaume se couche avec les dernières notes de la partition.
Ce charnier plongea Sanae dans une stupeur muette, au-delà de l'horreur, car ce qu'elle avait sous les yeux ne lui évoquait même plus la réalité. Elle ne remarqua pas tout de suite que le sang s'écoulait d'une façon très inhabituelle : il semblait flotter en suspension dans l'air, comme des cheveux dans le vent. Ses filets se croisèrent, s'entrelacèrent, tissant peu à peu une grande toile entre les deux morceaux du cadavre. Puis, comme un corsage qui se resserre, la toile de sang rassembla le corps en une seule et même pièce. Sanae avait contemplé tout ce rembobinage macabre sans ciller. La femme était de nouveau suspendue au-dessus d'elle comme au premier instant où elle l'avait vue, et rien ne laissait deviner qu'elle venait de se faire trancher en deux par un couperet monumental. Un nouveau gémissement s'échappa des lèvres spectrales de la prisonnière, puis elle redressa son beau visage aristocratique en laissant tomber d'une voix inexplicablement... capricieuse :
Elle essuya la buée du miroir et se plongea dans son reflet. Son visage, malgré ses traits acérés, avait une symétrie parfaite, ses cheveux étaient lourds et disciplinés, son maintien remarquable. C'était important, le maintien. Un calligraphe ne devait jamais relâcher sa posture, même quand il n'écrivait pas. Dos droit, épaules renversées, souplesse du geste. Tout était parfait.