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Critique de Ecarlate


Ouvrage très intéressant, traitant de l'évolution des mentalités et du droit concernant ce sujet délicat, le viol. L'affaire du 21 août 1974 a été décisive : deux jeunes femmes belges sont violées par trois hommes dans les calanques de Marseille. Envers et contre tout, elles vont se battre pour que justice soit faite.

Pourtant, une loi existe depuis 1832 et fait du viol un crime. Mais voilà, il n'y a crime que s'il y a pénétration vaginale, si en définitive la propriété du mari a été souillée, rien ne compte plus que la filiation et la génération. La plupart du temps, jusqu'en 1974, on déclasse la gravité de l'acte : au lieu de juger les suspects pour viol, on passe à des attouchements, ou des coups, bref des assises à la correctionnelle.

Somme toute, un viol, ce n'est pas si grave, et la femme ne l'a-t-elle pas cherchée ? S'est-elle défendue ? Et précisons que s'il y a plainte pour viol, on enquête autant sur la moralité et la vie de la prétendue victime, que sur le suspect. En somme, seule une femme violée chez elle par un étranger et en étant habillée des pieds à la tête est une victime. Cela ressemble à une caricature, mais c'est le cas. Nos jeunes belges perdent d'abord… alors que le juge même est une femme, elle est encore plus suspicieuse.

Les deux victimes de 1974 cherchent de l'aide, les associations féministes le font tout en récupérant leur cause. Leur cas est de plus en plus désespéré, mais leur rencontre avec l'avocate Gisèle Halimi sera déterminante : gratuitement, elle va plaider pour elles. Elle va faire passer ce procès de trois violeurs en un authentique procès du Viol.

Petit à petit, le débat devient politique et révèle une césure dans la société, non pas entre pro et anti viol, mais beaucoup d'hommes, comme de femmes, estiment que cette affaire va trop loin, le viol transcende aussi la notion de droite ou de gauche. La femme de gauche violée peut être accusée de vouloir défendre des droits de petite bourgeoise contre la grande cause sociale si elle accuse un supposé violeur qui est ouvrier ou immigré, voire les deux. En somme, la cause des femmes passe après la lutte finale.

La pression sur les plaignantes et l'avocate sera rude, on n'hésitera pas à frapper Gisèle Halimi, et comble du comble, son agresseur assistera le lendemain à une nouvelle audience, il faudra exiger qu'il soit expulsé. L'ouvrage démontre de façon intéressante la défense souvent contradictoire des suspects, et révèle aussi les moeurs du temps : selon eux, c'était deux lesbiennes, elles l'ont bien cherché et elles ont pris du plaisir. N'est-ce pas paradoxal, s'il s'agit vraiment de lesbiennes ? Cela éclaire sur la vision de l'homosexualité.

L'avocat de la Défense sera destiné à devenir célèbre : Gilbert Collard. Gisèle Halimi va obtenir un nouveau procès, et celui-ci reconnaîtra les suspects coupables. Ce procès aura lieu les 2 et 3 mai 1978 à Aix-en-Provence, soit quatre ans après les faits.

Mais il ne sera pas sans conséquence, la loi de 1980 viendra réformer, compléter et détaillé l'antique loi de 1832, ne limitant plus le viol à un simple vol potentiel de paternité. le viol conjugal, âprement débattu, entrera dans le code pénal en 1992. En 2000, il y a la création d'un fichier « génétique » des délinquants sexuels.

Terminons avec un peu de statistiques : avant 1965, il y a moins de 500 plaintes, dont pas la moitié se termine par une condamnation, souvent légère. En 2013, il y a environs 10 000 plaintes, en sachant qu'il ne s'agit que de celles, mais aussi de ceux, qui osent porter plainte.
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