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Critique de Fifibrinda


Des mots pour décrire un tableau ... Puis un peintre devient héros du récit, chevauchant à travers poussière, lumière et couleurs, quittant Constantinople pour une mystérieuse fabrique de fustanelles particulièrement réputées, aux confins balkaniques de l'Empire Ottoman. Arrivé au Domaine, peu de mots, un paysage fermé, confiné, des murs vides ... La Sultane, maîtresse des lieux, lui demande de peindre les panneaux des salles de réception, en échange des fustanelles. Habitué à peindre les corps et les étoffes, il pense se plier à des conventions religieuses en ne peignant que des motifs végétaux ... Mais ce n'est pas ce que l'on attend de lui ... Il évoque ensuite des paysages, mais pourquoi peindre ce qu'encadrent les fenêtres ? Il accompagne alors une chasse et y trouve ce que l'on espérait de lui ... Car, tout au long du roman, le peintre voit et regarde "en peintre" : il voit des couleurs, des motifs, des drapés, des clairs-obscurs, des scènes orientalistes plus qu'orientales ... La Sultane, par ses refus successifs de peintures censées lui plaire, et par son étonnante liberté, le conduira à une véritable création, à un vrai regard, dépouillé du filtre des convenances ou des traditions picturales. Et l'écriture de Sophie van der Linden participe de ce regard à la fois neuf et nourri de peinture : pour reprendre la très pertinente expression de Nathalie Dutier (Encres vagabondes), "il y a un continuum entre le velouté de la langue de Sophie van der Linden et celui des paysages peints par Georges-Henri François".
Les images proposées par l'écriture ou par la peinture évoquée en suscitent tant d'autres dans l'imaginaire du lecteur que ce court roman au texte épuré mais raffiné évoque pour moi aussi bien de riches univers littéraires - comme celui de Mathias Enard avec "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" - que des oeuvres graphiques hors du commun comme celle de François Place et ses "Géographies d'Orbae" . La spécialiste de l'image quitte l'analyse du rapport texte/image dans l'album illustré pour le roman où le rapport texte/image existe aussi, suscité par l'écriture, par le pouvoir d'évocation des mots, par le rythme envoûtant du texte, par cet art de la peinture littéraire que Sophie van der Linden maîtrise avec grand talent.
Un mot de la collection Sygne, nouvelle venue chez Gallimard : elle se veut un "espace pour des voix neuves, venues d'autres disciplines". On la dirait créée pour ce texte et son auteure, qui réussit un roman orientaliste en malmenant les codes du genre, un roman pictural où les mots créent les images, une déambulation à la fois introspective et sensuelle à travers un ailleurs que nous connaissons mais regarderons autrement désormais.

Merci donc à Masse critique pour ce magnifique moment de lecture.
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