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Critique de Mermere


Et encore un été à lire David Vann, mon auteur fétiche... Oui, je sais, ça ne semble pas a priori une lecture de plage ou de transat sous le soleil d'été, à siroter une petite menthe à l'eau ou un diabolo fraise, mais voilà, David Vann m'accompagne partout, peu importe les contingences ou les environnements extérieurs.
L'intrigue (peut-on réellement parler d'intrigue ?) se déroule en Californie, dans une région immense, aride et sauvage, à la végétation agressive. Comme chaque été, un père se rend dans la propriété familiale pour chasser en compagnie de son fils, son père et un ami (oui, oui, aucune présence féminine dans ce livre, ce qui est bien d'ailleurs l'une des origines du problème). Dès le début du roman ça tourne mal puisque le fils, âgé d'onze ans seulement, tue, sans aucun remord, un braconnier qui se trouvait sur les terres. Alors que va-t-il se passer pendant le reste du roman ? Eh bien, pas grand chose, comme d'habitude chez David Vann. Pas grand chose en terme d'action, évidemment, car en termes de pensées, en termes de descriptions des odeurs, des lumières, de la nature et de l'homme, là c'est le feu d'artifice, comme d'habitude.

L'écriture de Vann est toujours aussi riche et envoûtante. Peut-être encore plus dans ce roman là. On trouvera ici de très nombreuses phrases courtes, sans verbes. Cela donne un rythme très particulier et on a un peu de mal à s'habituer au début. Puis finalement on se retrouve embarqué dans ce rythme lancinant comme la chaleur d'une journée d'été californienne. Les descriptions de la nature sont éblouissantes et précises, je me suis très rapidement retrouvé sur ces terres de chasse, immergé dans cette végétation sauvage. David Vann excelle toujours dans cet art de l'infini comme du minuscule. Il est capable de nous rendre réel un paysage grandiose tout comme une sensation infime ou un bruit particulier, comme cette danse macabre et étourdissante des mouches autour des corps en décomposition. Et oui, l'horreur est toujours omniprésente chez Vann, y compris dans Goat Mountain. Mais cette horreur est bien humaine. Et c'est ce que semble vouloir nous dire David Vann tout au long de son oeuvre. L'homme est décadent. Cette absence de remords chez l'adolescent après son meurtre est bouleversante mais justifiée par cette passion ancestrale de la chasse enseignée dès le plus jeune âge où le rite initiatique consistant à manger les organes du premier cerf abattu est tout simplement traumatisante pour un jeune enfant. Dans cet univers masculin cru et violent, le jeune ado a grandi sans figure maternelle et se retrouve sans repères, livré à une violence qu'il n'a pas réussi à digérer. Pas de jeux vidéos ici mais une réalité de sang et de violence initiée par les parties de chasse avec le père et le grand-père.

David Vann nous montre un reste de famille déchirée, où aucune émotion n'a sa place. Tout est lisse et sans tendresse. La relation entre les trois générations est emplie de haine et de non-dits. le grand père est le centre de l'univers et la façon dont le jeune ado le perçoit est rendue de façon magistrale par Vann. Tantôt démon, tantôt dieu auréolé par des nimbes de lumières dorées (description magique quand le grand-père attrape le corps du braconnier pour le déplacer dans la clairière au coucher du soleil !), le grand-père fascine et inquiète par sa masse corporelle énorme. David Vann nous livre ici des portraits d'une richesse incroyable et d'une épaisseur époustouflante.

Ce qui m'a beaucoup plu aussi dans ce roman, c'est la dimension mythologique et symbolique des personnages. Une scène en particulier m'a particulièrement fait pensé à un épisode de mythe, celui de Sisyphe. Comment ne pas voir autre chose quand le jeune ado, qui vient de tuer son premier cerf, remonte la montagne avec ce fardeau pendant des heures (scène d'anthologie que cette longue tuerie du cerf, dans laquelle on trouvera de nombreuses allusions et références littéraires). Et comment ne pas voir dans ce grand-père une sorte de Géant ou Cyclope ?

De la mythologie à la religion, il n'y a qu'un pas. Et là c'est le carnage... La religion catholique est complètement démolie dans Goat Mountain. Si vous croyez en Dieu, passez votre chemin, David Vann a sorti l'arme lourde contre Jésus et les religions. J'ai été vraiment stupéfait d'autant de violence verbale et idéologique contre la religion catholique dans un livre américain. A croire que tous les américains ne sont pas des grenouilles de bénitiers !!! Franchement, j'adhère aux idées de Vann (notamment sur la violence des religions déjà inscrite dans les récits bibliques).

Je pourrai écrire des pages entières sur David Vann, vous l'avez compris, j'adore. Si vous avez aimé les précédents opus, vous adorerez celui-ci. Si vous ne connaissez pas David Vann, il se peut aussi que vous le détestiez. Je crois que si l'on regarde le nombre de critiques parues sur Babelio au fur et à mesure de la publication des romans de David Vann, c'est en baisse continue. Je pense que les gens doivent se lasser. Pour ma part, j'en redemande !
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