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Critique de MarcelP


Les eaux boueuses du río Marañón comme les pluies sablonneuses de Piura, capitale provinciale du nord du Pérou, charrient légendes et mythes ("(qui) sont dans la forêt comme ses arbres et ses fleurs : ils naissent vite, acquièrent en un clin d'oeil une scandaleuse vitalité et mettent la même rapidité à pourrir et à disparaître pour laisser la place à d'autres."*).

En enchevêtrant les fils de plusieurs histoires entre jungle amazonienne et quartiers populaires de l'oasis urbaine -la ciudad del eterno calor-, Vargas Llosa chante la complainte verte et jaune d'une terre gangrénée par la violence. Car l'écheveau qui sort de ses mains est garancé d'un sang maudit, celui des tribus indigènes spoliées et celui des femmes profanées : l'avilissement des plus faibles. La plaie fluviale qui lacère la forêt, les brouillards dunaires qui ouatent la ville colportent meurtres et viols, pillages et rapt d'enfants, exactions commises aux noms de Dieu, de la Loi ou du Progrès.

Dans son récit exubérant, l'écrivain tisse sur plusieurs dizaines d'années la chronique navrante d'une poignée de créatures dévoyées : un barbare trafiquant de caoutchouc atteint de la lèpre, le très conradien Fuschia ; un chef indien martyr de la cupidité d'exploiteurs, l'hagard Jum ; une bande de vauriens avinés, les Indomptables ; une harengère tenant bordel, l'intimidante Chunga, ou encore une naïve victime de la "civilisation", la douce Bonifacia qui passera du dortoir d'une Mission catholique aux pageots d'un boxon...

Il y a deux maisons vertes dans ce roman fleuve : le lupanar qui donne son titre au roman et, bien sûr, l'enfer luxuriant de la forêt amazonienne. Les deux s'entendent à nécroser les âmes et corrompre les chairs. Quand le mystérieux Don Anselmo, venu de nulle part, érige son viride bobinard dans les sables de Piura, on pense bien évidemment au Sutpen's Hundred d'Absalon, Absalon.

Marañón vs Mississippi : Vargas Llosa s'est patemment abreuvé aux sources faulknériennes pour tricoter son récit baroque. Même goût de l'humide et du pourri, du sec et du boucané, même prédilection pour les fautes originelles et la chute de l'homme, même phraséologie contournée. Qu'on ne s'y méprenne, La Maison verte n'est cependant pas un exercice de style. C'est un grand livre original et captivant qui entrelace les époques et les témoignages, se joue du lecteur (des personnages portent le même prénom, un autre est nommé différemment au cours du roman...) et le laisse souvent harassé bien que ravi de l'excursion.

Souillées, prostituées ou violées, les femmes du roman -à l'instar de la forêt matricielle- se régénèrent : elles oublient les maux subis, pardonnent les outrages et retrouvent une virginité précaire. Ce sont, nous glisse le romancier, les héroïnes de l'histoire qui se fait.

L'écriture fascinante, précisément confuse, assaille et magnétise. Certaines scènes -souvent rapportées dans une polyphonie stridente- scarifient notre mémoire d'un entrelacs d'émotions : le kidnapping d'une fillette, la défloraison d'une autre, la putridité d'un léprosé, une partie de roulette russe ou le ballet incessant de mouches avides.

Organique et sensuel, répugnant et brutal, La Maison verte nous hante comme la cuisson d'une morsure d'insecte, d'une peur ancienne ou d'un désir inassouvi.

* "Les Secrets d'un Roman", M. Vargas Llosa, 1971-2003
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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