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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Saga, tome 4 (épisodes 19 à 24) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série pour le premier tome, pour comprendre les relations entre les personnages et leur historique. Il comprend les épisodes 25 à 30, initialement parus en 20105, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés, encrés et mis en couleurs par Fiona Staples. le lettrage a été réalisé par le studio Fonografiks.

Il y a des années de cela, bien avant la naissance de Hazel, sur Landfall, la conscription dans l'armée s'effectuait par le biais d'un tirage au sort, des boules dans une sphère comme le loto. Avec les années passant, la guerre s'intensifiant, le tirage au sort devint inutile : il y avait assez de citoyens volontaires, avec des motivations diverses et variées, mais souvent pauvres. le conflit entre Landfall et Wreath prit de l'ampleur, gagnant des planètes colonisées, ou des planètes ressources de l'une ou l'autre faction, la bataille se déroulant alors sur ces mondes de plus en plus éloignés. Une sorte de paix s'installa sur Landfall, les citoyens n'étant plus au contact direct des champs de bataille, la guerre devenant plus un concept dans des contrées éloignées, qu'une réalité de tous les jours, les citoyens pouvant consacrer leur vie quotidienne à autre chose, à commencer par la recherche de plaisirs. Sur une planète éloignée enneigée, le vaisseau arboricole s'est posé. Dengo tient toujours le bébé Prince Robot et Hazel en otage, et il est sorti avec eux à l'extérieur, pour appeler des alliés. Cela fait 3 mois que Hazel n'a plus vu son père. À l'intérieur, Alana exprime sa colère et sa frustration à haute voix, Klara (la mère de Marko) lui conseillant de se calmer car elle s'agite en pure perte, et Friendo continuant de dormir. Klara tend un morceau d'écorce à Alana pour qu'elle frappe Dengo à la gorge quand il reviendra. Soudain, Alana vomit : une séquelle de son sevrage aux substances qu'elle prenait quand elle travaillait comme actrice.

Sur Demimonde, Gwendolyn, The Brand, Sweet Boy, Lying Cat et Sophie sont à la recherche de l'ingrédient qui permettra de soigner The Will : du sperme de dragon. le petit groupe arrive devant une grande étendue d'eau et ça ne se fait pas attendre : un dragon surgit devant eux en se dressant haut sur ses quatre pattes. The Brand indique à Gwendolyn d'utiliser la cape de The Will, puis elle réussit à transpercer l'une des narines du dragon avec une lame télescopique très effilée. Il ne reste plus qu'à occire le dragon pour recueillir la précieuse substance : Sophie fait observer qu'il s'agit d'un dragon femelle. Cette dernière accomplit un geste réflexe : elle lâche un fort jet d'urine sur ses assaillants. Gwendolyn en a reçu un peu dans la bouche. The Brand ajoute que ce geste sert à marquer ses ennemis. Effectivement trois autres dragons femelles ont rejoint la première pour livrer bataille et exterminer les agresseurs. Loin dans l'espace, Prince Robot IV pilote un vaisseau pour retrouver la trace des deux enfants enlevés Hazel et le bébé Prince Robot. Il est guidé par Ghüs qui a un faible lien télépathique avec l'animal familier Friendo. Marko explique qu'il faut suivre cette piste jusqu'à son terme. Prince Robot IV demande à Ghüs, en parlant de Marko, de rappeler à l'animal derrière lui qu'il n'est pas autorisé à s'adresser à lui directement. La conversation s'envenime rapidement au point qu'ils en viennent aux mains : ils sont rappelés à la raison par Yuma.

L'horizon d'attente du lecteur est assez clair concernant cette série : une bonne dose de sitcom bien traditionnelle, dans un environnement de science-fiction, avec des personnages attachants et hauts en couleurs, des situations décalées, une intrigue prétexte. le scénariste use avec largesse des ressorts de romanesques : enlèvement d'enfants, rivalité entre deux jeunes mâles issus de classes sociales antagonistes, association de circonstance avec des malfaiteurs, usage de produits stupéfiants, recours à la violence, maltraitance d'enfant (châtiment corporel), racisme ordinaire. Comme dans les tomes précédents, ces cordes un peu usées bénéficient d'une peinture fraîche avec la mise en images. L'enfant enlevée a un très joli manteau et fait preuve d'une assurance crédible. Les 2 jeunes mâles commencent à s'empoigner et le lecteur observe des bâtons de dynamite apparaître sur l'écran de téléviseur qui sert de tête à l'un d'eux. Les 5 malfaiteurs ont une apparence singulière de race extraterrestre exotique. L'effet des produits stupéfiants est représenté par les visions qui assaillent l'un des 2 drogués, et par le visage hébété et béat de l'autre. le recours à la violence n'est jamais simple, et a des conséquences physiques durables, souvent horribles. le racisme ordinaire s'exprime avec une franchise qui fait froid dans le dos.

Les auteurs continuent de mettre en oeuvre les conventions des récits de science-fiction : différentes planètes, races extraterrestres, vaisseaux spatiaux, armes futuristes. Fiona Staples réalise toute la partie graphique toute seule et étonne par ses mélanges d'éléments reconnaissables et d'une apparence originale. Cela commence avec la grande sphère qui contient les petites balles pour le tirage au sort : l'aspect général permet d'identifier immédiatement ce dont il s'agit, et en accordant un instant d'attention supplémentaire, le lecteur repère immédiatement ce qui inscrit cet accessoire dans la science-fiction. Il en va de même pour de la pelouse avec les pierres tombales des soldats de Landfall : une disposition classique d'un cimetière américain militaire, et des formes de stèle originales et élégantes. Deux pages après, le lecteur découvre un affrontement sur un champ de bataille et il retrouve la posture très particulière d'un quadripode TB-TT de l'Empire contre-attaque sur la planète Hoth, un clin d'oeil rendu amusant par le caractère animal de l'équivalent du quadripode dans Saga. Il sourit en voyant la forme du vaisseau spatial nommé Hoof (sabot en anglais) qui ressemble effectivement à un sabot. Il découvre avec surprise comment Prince Robot IV met à profit les capacités de son corps robotique, en particulier ses mains, pour utiliser le tableau de commande du vaisseau spatial. Alors que les pages peuvent sembler dégager une impression générale un peu désinvolte quant aux détails, le lecteur se rend vite compte qu'elles comprennent une bonne densité d'informations visuelles et des trouvailles savoureuses.

L'artiste met en oeuvre une direction d'acteurs naturaliste, avec des personnages qui n'appartiennent qu'à cette série. Il y a bien sûr Marko avec ses cornes, et Alana avec sa silhouette élancée, sans compter que les Robots sont toujours aussi uniques avec un poste de télévision en lieu et place de la tête, et un modèle différent pour chaque individu. Ghüs reste une sorte de phoque anthropomorphe nain, et il faut voir Princesse Robot en lingerie pour y croire. Par comparaison, Sophie (une jeune fille avec des lunettes) et The Brand font figure d'extraterrestres avec leur apparence normale et banale. La coordination entre dessinatrice et scénariste ressort de manière remarquable avec plusieurs moments visuels uniques et transgressifs. Princesse Robot effectue une fellation à Prince Robot IV (le lecteur se demande bien comment avec son téléviseur en guise de tête), et le résultat (un écran crevé) produit un effet comique irrésistible. La découverte du dragon mâle se fait par le truchement d'un dessin en double page, inoubliable pour une situation énorme qui fera rêver bien des messieurs quant aux capacités physiques dudit dragon. La provocation et la transgression restent donc bien présentes, avec une forme de renouvellement inattendu. Alors qu'il pourrait se contenter de mettre à profit le potentiel comique de Lying Cat, Vaughan ne le met en oeuvre qu'avec une grande parcimonie.

Le lecteur prend vite conscience que les éléments les plus prosaïques de sitcom font ressortir avec plus de contraste les éléments de SF, de Fantasy, ou les commentaires sociaux. Accompagner une partie des personnages dans un supermarché permet de mieux établir le constat du SDF qui pousse son caddy à l'extérieur, une observation pénétrante sur la manière dont la société de Landfall traite ses vétérans. le calme de la discussion autour d'un feu de camp en faisant griller des guimauves donne plus de saveur au fait que The Brand explique la notion d'avortement à la jeune Sophie. La dynamique de comédie de situation permet aux auteurs de rendre les personnages beaucoup plus proches du lecteur qui n'en ressent que mieux leurs états d'esprit. Elle sert également de vecteur aux thématiques de la série. La séquence d'ouverture braque le projecteur sur la situation de guerre de Landfall, même si les conflits se déroulent maintenant loin de cette planète, orientant l'interprétation du lecteur sur le fait que les tribulations des personnages sont les conséquences de cette situation de conflits ouverts. Il note également que les remarques de Hazel reviennent sur les effets secondaires d'avoir un enfant, avec un angle de vue très particulier : l'élargissement du cercle social de ses connaissances. Chaque jour amène à côtoyer de nouvelles personnes pour subvenir aux besoins de son enfant, et les parents ne peuvent qu'espérer que les actions de ces nouveaux apporteront plus d'éléments bénéfiques que négatifs. Cela renvoie à une observation similaire dans le tome précédent sur le fait qu'Alana et Marko croisaient des individus qui aggravaient leur situation.

Il est impossible de résister à l'attrait d'un nouveau tome de cette série : une histoire de science-fiction originale avec des personnages sympathiques et imparfaits. le lecteur n'est pas dupe et sait qu'il lit une sitcom de bonne facture : il perçoit les éléments feuilletonesques et les situations clichés, tout en les goûtant quasiment comme neuves grâce à la narration visuelle originale. Il savoure les moments irrévérencieux souvent visuels, tout en s'impliquant émotionnellement pour les personnages. Il prend plaisir à ce récit de genre bien troussé, divertissant et léger, dépaysant et rassurant, tout en ressentant qu'il manque peut-être un peu de fond.
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