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Critique de Pol-Art-Noir


Après un mystérieux prologue qui voit Evangelos aux prises avec une mère et son fils, pourchassés et coincés sous la neige dans une maison isolée non loin de la frontière albanaise ; un cadavre dans la cour ; un héros blessé et fébrile ; commence le récit qui va démêler l'écheveau.
Lors de sa précédente aventure (Le Mur Grec) Agent Evangelos était devenu grand-père. Les années ont passé. Lui est à la retraite et sa fille Andromède, après avoir passé près de dix ans en Suisse, est en passe de revenir vivre à Athènes. Enfin, il pourra véritablement profiter de sa petite-fille Zoí qui va bientôt fêter son seizième anniversaire. Mais avant cela, il est convenu qu'il ramène la Tesla de sa fille à bon port en traversant l'Europe de Zurich jusqu'à la capitale grecque.
Dans un premier temps, sur la route nocturne vers l'Italie et seul dans l'habitable confortable de la berline bardée de technologies, Evangelos laisse libre cours à son esprit vagabond. de vieux souvenirs remontent, du temps de la junte.

À chaque fois que la grande Histoire déploie sa trame guerrière, elle fait usage des lettres minuscules pour dérouler le récit de ses atrocités (…)

Passé Milan, en direction de Rimini où il doit prendre un ferry pour la Grèce, ce ne sont plus sur l'autoroute que camions et grosses berlines allemandes immatriculées en Suisse : la diaspora turque s'offre des vacances en famille au pays pour les fêtes de fin d'année. Les femmes sont toutes voilées. Sur une aire de repos, Evangelos croise l'une d'elles, Christa, qu'il ne connaît pas encore.
Sur un coup de tête, il pique vers le sud, change l'itinéraire prévu, et décide d'embarquer plutôt de Brindisi (le talon de la botte italienne) vers l'Albanie, et de continuer par la route.
Sur le bateau, il fait la connaissance de Zacharias, un octogénaire grec exilé depuis 1949 qui, lui aussi, fait le voyage vers son pays natal qu'il n'a pas revu depuis soixante-dix ans. Il lui conte une histoire pas banale : celle des enfants des résistants communistes de la fin de la dernière guerre, des mères qui avaient pris les armes, le maquis, avant d'être écrasées par le pouvoir et la guerre civile avec le soutien des Américains. Comme un début de parfum de guerre froide. L'homme raconte la fuite vers l'Albanie, puis son arrivée en Ouzbékistan, seul, à douze ans.
Après une nuit de traversée, alors que son ferry accoste en Albanie sous une tempête de neige, Evangelos reçoit un message de sa fille : Zoí a disparu…
Même retraité, l'ancien agent des renseignements retrouve ses vieux réflexes, mais mener une enquête depuis le bout du monde, au milieu de nulle part et à distance n'est pas chose aisée…

Avec Nicolas Verdan, on ne sait jamais tout à fait où on va. Les intrigues s'emmêlent, les sujets se croisent, au point qu'on se demande parfois vers quel but il tend. Un enfant livré à son propre sort il y a cinquante ans ; une jeune fille prise au piège des réseaux sociaux ; une femme portant le voile disparaissant avec son fils sur la route du djihad… Et Evangelos qui navigue à vue au milieu de tous ces flots (flow ?) au volant d'une grosse berline. C'est parfois déconcertant, mais il se passe plus de choses en une centaine de pages qu'en quatre cents chez d'autres. La densité est là.
Pour autant, on ne se sent ni perdu ni abandonné, le GPS Verdan veille. Et comme destination, il a choisi le sort réservé aux enfants par notre monde sans boussole.

La « récolte », c'est le tribut payé par les communautés chrétiennes des Balkans à l'Empire ottoman jusqu'au début du XIXe siècle : les fils aînés et les plus belles filles étaient enlevés à leurs familles et envoyés vers Istanbul pour être rééduqués et convertis à l'islam.
Nicolas Verdan va décliner cette vieille tradition sous différentes formes en tirant sur plusieurs fils narratifs et en y mettant toute sa maestria et son intelligence.
Oubliant tout manichéisme, il met dans les mains de son antihéros qui s'est découvert une passion pour la lecture un Coran, qu'il lit et annote avec la plus grande attention durant son périple pendant qu'autour de lui se déchaînent les différentes interprétations du livre sacré.

L'islam occupait désormais le paysage dans une Europe qui croyait s'être affranchie du religieux à la fin du siècle passé.

Pour Evangelos, qui à l'occasion s'est découvert un patronyme (Evangelos Moutzouris), la confrontation sera brutale. La religion musulmane et ses extrémistes sont loin d'être les seuls à s'intéresser au sort des générations futures. S'étale sous nos yeux et sous la plume aiguisée de l'auteur un panoramique des maltraitances réservées aux enfants par ceux qui leur veulent du « bien ». Endoctrinement, rééducation, soumission, conditionnement, la liste est infinie et traverse les époques.

Tous les fils « tendus » font bien évidemment partie de la même pelote. Nicolas Verdan met en scène le contexte historique, la perspective géopolitique, c'est sa « came ». Lorsqu'il se met à raconter la « petite » histoire mêlée à la « grande », il excelle. La Récolte des Enfants est un roman foisonnant, d'une incroyable densité (une marque de fabrique ?), intelligent, questionnant, qui n'oublie pas pour autant les codes du genre : intrigues croisées, rebondissements, suspense, avec aux commandes un narrateur à l'humanisme débordant, non dénué d'humour, comme lorsqu'il s'imagine expliquer la dictature à sa petite-fille :

Je tentais de simplifier. Et plus j'y parvenais, plus je me rapprochais de la vérité : le pays était aux mains d'un roi fantoche tenu en respect par une bande de clowns terrifiants.

Si aujourd'hui certains enfants sont des « rois », abandonnés à leurs tristes sorts, parfois perdus, les « clowns » qui les surveillent et cherchent à les capter sont, comme hier, non seulement terrifiants, mais dangereux.

J'eus soudain la vision du puzzle achevé : une galerie de bienfaiteurs et bienfaitrices serrant très fort la main de petits enfants.
Très très fort.
Lien : https://polartnoir.fr/livre...
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