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Critique de BazaR


Avant tout je remercie les éditions du Félin et Masse Critique de m'avoir permis de faire plus ample connaissance avec le Portugal du 15ème siècle qui, je l'avoue, m'était jusqu'ici bien méconnu. Pour moi, le 15ème siècle c'est avant tout la guerre de cent ans, le Quattrocento, la fin de la Reconquista et Christophe Colomb.

Ce livre a le mérite de nous faire sentir que l'Europe franchit en ce temps-là, sans y penser, la frontière qui sépare le moyen-âge de la Renaissance ; et si l'Italie est aux premières loges du voyage dans le domaine de l'art, le Portugal l'est pour le décloisonnement du continent. Ce dernier s'appuie sur la foi chrétienne et l'envie de la nouvelle dynastie des Aviz de poursuivre l'oeuvre de ses aïeux en portant le combat en Afrique. Il s'appuie sur le désir de l'or et des épices et sur la découverte du mythique royaume chrétien du prêtre Jean censé exister au-delà des royaumes musulmans. C'est ce mélange de religion, d'appât du gain et de curiosité qui va pousser des aventuriers n'ayant rien à perdre sur les routes maritimes de l'Atlantique, à bord de navires relativement modestes, à la découverte et à la conquête des îles d'abord (Canaries, Madère, Açores) puis des côtes occidentales de l'Afrique. Petit à petit, le regard peuplé de fantastique de ces régions éloignées laisse place à une connaissance expérimentale bien plus réelle et efficace. Mais rapidement la soif d'or est dépassée par la faim d'esclaves. Si, lors des premières expéditions, il faut pratiquer la chasse à l'homme soi-même, une véritable économie de marché se constitue, les roitelets africains vendant eux-mêmes la « marchandise » aux Portugais.

« Et Henri le Navigateur, que vient-il faire dans cette caravelle », me demanderez-vous ? Eh bien il est une sorte de pivot organisationnel de l'aventure. Quatrième fils de João 1er – fondateur de la dynastie Aviz – et de Filipa de Lancastre, contemporain de Gutenberg, de Filippo Lippi et de Jacques Coeur, l'infant Dom Henrique consacre sa vie au financement et à l'organisation dans leurs moindres détails des expéditions. Paradoxalement, malgré son surnom, Dom Henrique a peu navigué lui-même, se bornant à quelques allers-retours à Ceuta et à Tanger pour la conquête de ces villes (la première réussie, la deuxième échouant). Il est assez remarquable que, pour une fois, le commanditaire des expéditions soit plus célèbre que les capitaines. Qui connaît chez nous les noms de Gil Eanes de Lagos ou d'Estevão Afonso ?

Michel Vergé-Franceschi dilue la biographie de l'infant dans ce mouvement global qui porte le Portugal dans son ensemble vers l'Atlantique. Il s'appuie fortement sur la chronique de Gomes Eanes de Zurara, chroniqueur officiel de la cour, à qui il emprunte des pans entiers de la prose, générant des phrases patchwork parsemées de citations. J'ai trouvé ce style un peu lourd et fatigant à la longue. J'ai trouvé amusant que Zurara arrête sa chronique (en 1448) au moment où je trouvais que la description des expéditions se faisait monotone. Comme s'il m'avait entendu, l'auteur nous informe que ce sentiment a dû être partagé par Zurara. Quel intérêt y-a-t-il à raconter la routine quand celle-ci tourne comme une horloge ? Cependant, Vergé-Franceschi nous dit aussi que Zurara avait probablement arrêté pour une autre raison : hagiographe de Dom Henrique, cet humaniste ne pouvait gâcher son oeuvre en la polluant avec la description de l'organisation mécanique de la traite des esclaves. L'auteur décrit les expéditions jusqu'à la mort de l'infant, en s'appuyant ensuite sur la chronique du vénitien Ca'Da Mósto, qui contrairement à Zurara, a navigué le long des côtes africaines et raconte ce qu'il y a vu.

En dehors de cet abus d'emploi des chroniques du temps et d'une petite tendance à se répéter, Michel Vergé-Franceschi nous offre un récit qui se lit sans difficulté et sans ennui et qui se révèle très riche en information. Agrémenté de généalogies, de cartes et d'une chronologie exhaustive qui aide à situer les évènements, l'ouvrage réussit à dresser un beau tableau des débuts des découvertes portugaises et à donner envie de poursuivre avec Bartolomeu Dias, Vasco de Gama et Magellan.
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