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Critique de JacobBenayoune


Il s’agit là d’une nouvelle expérience poétique pour Verlaine. Le titre annonce le ton. "Fêtes", joie et allégresse ; "galantes", badinages et cajoleries. De la poésie qui nous rappelle les amours des bergères et des bergers, naïves, folâtres et sincères. De plus, les "Fêtes galantes" sont inspirées des tableaux de Watteau et de ce genre de peinture qui naît de son initiative. Cette œuvre nous rappelle ce lien étroit entre la poésie et la peinture, cette alchimie qui a existé entre Baudelaire et Delacroix ou entre Valéry et De Vinci.

Tout cela est gai de prime abord. Or, ce n’est pas vrai. Lorsqu’on lit ces "Fêtes galantes", on ressent un goût de la mort, du malheur derrière tout cela :

Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
(…)
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,

Ou

Là ! Je me tue à vos genoux !
Car ma détresse est infinie,

Verlaine, en véritable autocritique, a souvent livré des éclaircissements de ses œuvres dans des recueils ultérieurs comme dans une œuvre posthume intitulée "Varia". On y trouve ce poème qui représente cette tristesse intrinsèque déguisée d’une joie éphémère, lunaire (permettez que je l’introduise dans son intégralité) :
En 17...
Le parc rit de rayons tamisés,
De baisers, d'éclats de voix de femmes...
L'air sent bon, il est tout feux tout flammes
Et les cœurs, aussi, vont embrasés.

Une flûte au loin sonne la charge
Des amours altières et frivoles,
Des amours sincères et des folles,
Et de l'Amour multiforme et large.

Décor charmant, peuple aimable et fier ;
Tout n'est là que jeunesse et que joie,
On perçoit des frôlements de soie,
On entend des croisements de fer.

Maintes guitares bourdonnent, guêpes
Du désir élégant et farouche :
- « Beau masque, on sait tes yeux et ta bouche. »
Des mots lents flottent comme des crêpes.

Pourtant, c'est trop beau, pour dire franc...
Un pressentiment fait comme une ombre
À ce tableau d'extases sans nombre,
Et du noir rampe au nuage blanc !

Ô l'incroyable mélancolie
Tombant soudain sur la noble fête !
De l'orage ? ô non, c'est la tempête !
L'ennui, le souci ? — C'est la folie !


Verlaine avait vécu un drame en 1867, à l’époque où il écrit "Fêtes galantes". Son grand amour de jeunesse, sa protectrice qui l’a aidé à publier "Les Poèmes saturniens", sa cousine Élisa Moncomble est morte. Et ainsi l'incroyable mélancolie tomb[e] soudain sur la noble fête. Cette fête et ces masques sont des paradis artificiels pour ce pauvre Lélian au cœur déchiré.

Par ailleurs, la composition de ces poèmes ressemble à la création des fêtes galantes de Watteau. On sait que la représentation des scènes de la vie quotidienne et partant, de scènes de fêtes champêtres et de jeux empruntés à la commedia dell’arte était considérée par l’Académie royale de peinture et de sculpture comme inférieure à la représentation de scènes mythiques et historiques. Watteau a essayé de marier fêtes champêtres et cadres mythiques. Pour Verlaine, le sujet des fêtes galantes (déjà présent chez des poètes comme Hugo ou Banville mais aussi Gautier, dans certains de leurs poèmes) est exploité d’une manière originale -on y voit souvent le chef-d’œuvre de Verlaine- avec musicalité et préciosité, dans un style souple (des vers courts, de petites strophes). Verlaine lui consacre tout un recueil et le mène à la perfection. En pleine possession de ses outils de poète, il a su varier les rythmes et le vocabulaire et teinter l’atmosphère du recueil d’une mélancolie douçâtre qui nous amuse, nous emmène, nous touche.
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