Le sujet dont Paul débattait sur Internet, tout comme le fait de savoir s'il avait eu à raison ou non, n'avait eu à un moment donné plus aucune importance pour lui. C'était l'acte lui-même qui l'obsédait. La discussion s'était transformée en un combat de boxe virtuel, et celui-ci en la mise en scène d'une défaite ritualisée. Un jour sur deux, Paul prenait la résolution d'arrêter "ces conneries". Parfois, il annonçait sur sa page Facebook ou sur Instagram qu'il allait faire une pause de trente, quarante ou cinquante jours sur Internet, pour replonger - à la grande joie de ses nombreux "amis" et "followers" - au bout de trois jours tout au plus. Lorsqu'il n'écrivait pas de commentaires sur Internet, il dormait mal, avait des sueurs froides ou des crises de panique. Ses mains tremblaient, il avait parfois l'impression de ne plus pouvoir respirer. Tout cela était pire que ses tentatives infructueuses d'arrêter de fumer. Attendre le tramway était devenu un défi, le trajet lui-même un martyre. Sil voulait "juste jeter un coup d'eil rapide", il savait qu'il remonterait bientôt sur le ring. Mais c'était plus fort que lui. Quelque chose s'érait produit en lui, quelque chose avait modifié son esprit, il était mû par une force intérieure bien plus puissante que lui.
- Vous ne m'avez même pas demandé pourquoi on m'a jeté dans la boue, dit-il.
- Est-ce que ça a de l'importance? demande-t-elle en souriant. Montrez-moi quelqu'un qui ne mériterait pas d'être jeté dans la boue à un moment donné.
- En plus, ça fait une demi-heure que nous n' avons plus d'Internet, dit Eva.
- Zut! Qu'est-ce qu'on va faire?
- Pas d'eau, c'est grave. Très grave! Mais pas d'Internet? Comment allons-nous survivre? réfléchit Paul.
Tout régime de terreur a ses côtés comiques. Il en a toujours été ainsi, et tous les prophètes et dictateurs ont eu leurs femmes. De Moïse et Jésus à Mahomet, des empereurs romains aux papes qui baisent à droite et à gauche ou aux psychopathes comme Napoléon, Hitler, Staline, Mao, Erdogan...
– Ce n’est pas une guerre, observe Lena d’un ton sérieux en cherchant la télécommande parmi les journaux éparpillés sur le canapé, mais une une opération de police élargie contre les terroristes.
– Ah bon ? Et la guerre aussi, elle sait qu’elle n’est pas une guerre ?
Il joue, mais Paul n’entend pas une seule note, il voit seulement le zèbre qui passe tranquillement à côté de lui en lui jetant un regard indifférent.