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Critique de Lutvic


« Pour me rassurer pendant que ma mère est suspendue par les cheveux au chapiteau, ma soeur me raconte le "conte de l'enfant que l'on fait cuire dans la polenta". Si je me représente l'enfant en train de cuire dans la polenta, et comme il a mal, je ne suis pas obligée de penser que ma mère pourrait tomber de là-haut. »

Le conte de l'enfant que l'on fait cuire dans la polenta est né comme antidote à la peur de la mort. Sa soeur aînée le lui récite à chaque fois que la petite fille craint de perdre sa mère, pendant un numéro. Des détails de plus en plus étranges et grotesques viennent amplifier la terrible histoire. Une histoire obsessionnelle. de plus en plus cruelle, augmentée absurdement : indices d'une peur qui ne fait qu'accroître.
Le conte de l'enfant que l'on fait cuire dans la polenta voudrait, de par sa fonction magique, tromper et devancer la réalité. La petite fille consent au jeu rusé de sa soeur aînée, mais ne renonce à aucun moment à sa propre vérité, à sa crainte – source d'une fantastique disponibilité fabulatrice.

La fiction n'est pas en mesure de devancer ou de se substituer à la réalité.

Mine de rien, la leçon que livre ce petit chef d'oeuvre est destinée à perdurer dans la mémoire...

Un poème en prose produit d'une perspective infantile : une marelle dans laquelle on se déplace en boitant, et chantonnée en phrases brèves.
Un court livre en vers tendres sur la vie du cirque et sur le cirque de la vie, sur les émotions labiles qui composent et décrivent une famille, sur les tours de magie et les contorsions nécessaires à la survie.
Ludiques, crues, tragiques, comiques ou tragi-comiques, les impressions de l'enfant morcellent la réalité sordide et la recomposent fastueusement. Dans le petit roman d'Aglaja Veteranyi brillent des petits riens déchirants et des sensations « second hand », doux et kitsch, hérités en même temps que l'anxiété, une vie d'errances et trois langues peu apparentées (le roumain, le hongrois, l'allemand) :
« Démonter la tente du cirque, c'est toujours pareil, c'est comme de grandes funérailles, c'est toujours de nuit, après la dernière représentation dans une ville.
Lorsque la clôture du cirque est démontée, des étrangers s'approchent parfois de notre caravane et pressent leur visage contre la vitre.
Je me sens comme les poissons au marché.
On conduit les caravanes et les cages à la gare avec des lampes qui clignotent, comme un cortège funèbre, puis on les charge sur des wagons de chemin de fer.
Tout se défait en moi et le vent me transperce. »

Née à Bucarest au sein d'une famille d'artistes de cirque et finalement établie en Suisse, Aglaja Veteranyi a été actrice, dramaturge et écrivaine. Pendant trois ans, entre 1999 et 2002, la chance semblait lui sourire, et son style singulier, acquérir des lecteurs émus.
Aglaja Veteranyi s'est donné la mort en février 2002.
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