Voici donc une première hypothèse : ces trois univers – puissance des mots (qui éveillent et mettent en marche), fugacité de l'emplacement (attendu, désiré, recherché), rugosité du déplacement (avec ses contraintes techniques et politiques) – constituent les trois piliers autour desquels cette histoire va prendre forme.
En ce siècle des bourgeois conquérants, seuls les prolétaires seraient interdits de rêve ? Que les flâneurs déambulent dans les fameux passages qui commencent à envahir les beaux quartiers de Paris, subjugués par les formes et les couleurs d'un univers fantasmagorique, voilà qui suscite la curiosité. Mais que des ouvriers rêvent d'une chose autre, différente, feraient poindre des sourires narquois ? Que peut-on leur reprocher, si ce n'est, peut-être, d'avoir voulu éprouver les mots dans leur chair, de ne pas s'être contentés de la jouissance toute baudelairienne du flâneur ("à quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même un jouissance suffisante"), mais d'avoir répondu à l'appel du "non-encore-devenu" (E. Bloch).
En posant le pied à Rio de Janeiro, les phalanstériens se trouvent ainsi confrontés à l'univers de l'esclavage et à l'expression populaire de cultures africaines déracinés. Mais que connaissent-ils de ces deux mondes ? Peut être ont-ils lu ce que Fourier a écrit sur "les coutumes odieuses de la traite et de l'esclavage", espérant que l'exemple d'association allait conduire les colons à l'affranchissement. Mais ce même Fourier ne portait guère de crédit à la civilisation noire. Voilà qui expliquerait qu'ils n'aient retenu, comme en témoigne Arthur de Bonnard, que le "nègre indolent, abruti par l'esclavage, et qui couve la vengeance.