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Critique de berni_29


L'endroit me paraît si familier que j'arrive à le situer avec précision. La mer, cette couleur de l'océan qui ressemble à une nulle autre pareil. Le temps gris et brumeux du matin et qui brusquement s'inverse avec la marée du soir. Quelques bateaux de pêche qui regagnent un port. Ce fond d'estuaire où sont venues mourir les épaves de quelques barques de bois, figées dans la vase, rongées par les algues et les plantes invasives, ainsi que quelques âmes en perdition qui ont sombré depuis longtemps au fond d'elles -mêmes, mais qui continuent de s'accrocher cependant, contre vents et marées, au zinc d'un estaminet. Et puis il y a les noms des protagonistes de cette histoire. Cette ville sur une presqu'île en rade de Brest, je la reconnais pour y habiter depuis plusieurs années.
Tanguy Viel connaît bien également cette région pour être né à Brest et y avoir séjourné durant son enfance.
Article 353 du code pénal n'est pas forcément un titre accrocheur. Ça, on ne pourra pas le reprocher à son auteur et je plaide coupable d'avoir tardé à le lire, d'avoir pris mille prétexte pour le mettre de côté en attendant de terminer la lecture d'un autre livre que je jugeais à chaque fois plus prioritaire et ça, je les fait pendant plus d'un an, je n'ai cessé de le faire jusqu'à ce qu'une petite voix au fond de moi, ou bien peut-être venue du fond de cette rade qu'il m'arrive de contempler le week-end, oui une voix est venue, ou bien peut-être celle d'un lecteur ou d'une lectrice, pour me dire : « Maintenant tu n'y échapperas pas »...
L'histoire se déroule donc ici dans les années 90. C'est à peu près à cette époque que je suis venu habiter ici. J'aurais donc pu croiser dans les rues ou sur le quai d'un des quelques ports que compte la presqu'île, le narrateur, Martial Kermeur.
Celui-ci est divorcé depuis peu. Il vit avec son fils Erwan. C'est un ancien ouvrier de l'arsenal de Brest, mu par un idéal socialiste encore intact, même si la classe ouvrière à laquelle il appartient à de quoi douter, frappée par des vagues de licenciements et de préretraites. Durant longtemps, l'arsenal fut le premier employeur de Brest.
Nous entendons la voix de Martial Kermeur raconter son récit au juge qui instruit l'enquête après son arrestation. Il vient d'avouer qu'il a poussé dans la mer Antoine Lazenec, un promoteur immobilier sans scrupules, alors qu'ils étaient tous deux au large, à bord du voilier de l'homme d'affaires. Et pour ce geste Martial Kermeur risque d'être inculpé d'homicide volontaire.
Ce sont ainsi que commencent les premières pages du récit et durant tout le reste du livre, nous voyons se dérouler l'aveu d'un homme, une forme de longue confidence au juge qui l'écoute, pose de temps en temps quelques questions, ponctue parfois son entretien de quelques étonnements, puis laisse le narrateur poursuivre son récit jusqu'au bout...
Nous découvrons ainsi les fondements de cette histoire presque ordinaire, avec des gens ordinaires, sans doute un peu naïfs, sans doute un peu désœuvrés, mais ici pas plus qu'ailleurs, fragiles certainement, à cause des aléas de l'existence. L'histoire pourrait appartenir à une chronique de faits divers, un promoteur immobilier peu scrupuleux embarque tout un monde dans son projet mirobolant et pharaonique, le maire et ses concitoyens, dont fait partie Martial Kermeur et qui vont s'accrocher à ce rêve improbable, cette chimère tombée du ciel comme des hameçons scintillants.
Article 353 du code pénal est l'histoire de Martial Kermeur, cet homme qui a tout perdu et qui nous fait désormais entendre sa voix, sans concession sur son histoire, l'histoire de cette chronique sociale et intime.
J'ai été emporté par la forme de la narration. Le récit est lent, avance pas à pas, décortique chaque scène importante de l'histoire comme une séquence scrutée au scalpel qui s'enchaîne aux autres dans un puzzle implacable Et la présence d'un juge qui écoute, ses questions qui viennent peu à peu poser de l'empathie dans l'instruction, transforment alors le fil de cette audition en une longue confession douloureuse et bouleversante.
C'est le récit intime d'un homme qui a tout perdu au-delà de l'argent. Mais j'y ai vu aussi comme une fable qui oppose de manière presque irréconciliable ceux qui sont exclus dans une société de plus en plus violente et l'arrogance de ceux qui en veulent toujours plus dans un cynisme totalement débridé.
Je plaide coupable d'avoir souri aux premiers instants où ce qui ressemblait à une tragi-comédie aux accents de farce burlesque prenait forme avec ce promoteur véreux qui allait enfariner les citoyens de cette presqu'île. Je plaide coupable de mettre presque moqué d'eux en me disant : « mais comment ont-ils pu se faire manipuler à ce point ? » Mais au fond, aurais-je été plus malin à leur place ? Ou plus lucide dans une situation sociale sans lendemain qui chante, acculé à croire au moindre miroir aux alouettes qui s'agite dans le vent du large ?
C'est en effet le récit d'une magnifique manipulation mais surtout c'est la confession et le rythme de sa narration qui font la force de ce roman. C'est remarquablement bien fait.
Il y a une lucidité désespérante dans ce regard posé sur la société et les tréfonds de nos âmes.
Dans ce long huis clos où les phrases se déplient comme du verre brisé, on sent une tension qui se libère peu à peu, et cela nous soulage presque au moment où on sent le juge peut-être poser un regard humain et compréhensible sur un homme abattu, marionnette ballotée dans un théâtre de fous.
Mon intime conviction est que vous aimerez ce livre.
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