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Citations sur Le soleil sous la mer (5)

. La clef de l'origine


Je franchis le seuil du cimetière de campagne juif en Basse-Alsace
Où j'allai tout enfant avec mon père dans les averses de mars
Après l'hiver impénétrable et le brouillard d'école
Poser des graviers blancs
Sur l'arête des hautes stèles grises rongées de givre.
Maintenant c'est l'heure ultime de l'été,
Les punaises rouges et noires
Font l'amour en dormant sur le seuil de grès concave usé par
les morts,
Haché de barreaux d'ombre entre les grilles rouillées
Qu'étrangle la grosse chaîne toujours cadenassée portant l'écriteau:
«S'adresser à Mr Abraham Weill, ministre officiant, ou au bedeau.»
Ils sont tous là les aïeux de père et de mère
Les surgeons de Jacob les rameaux de Jessé
Les proches parents du Messie l'holocauste sanglant des nations
Les boucs émissaires qui emportent au désert le péché –
Ceux qui vendirent du drap à tout le canton sous Napoléon Trois
Ceux qui ont fait une distribution gratuite de froment et de
haricots secs
Au moment de la disette dans les premiers mois de la Restauration
Ceux qui furent conscrits en 70 et gardèrent leur bâton de tambour-major
Caché sous l'ais du grenier dans un ruban de soie tricolore,
Jusqu'à ceux qui naquirent dans un ghetto de village mal oublié
Pendant que l'avenir œuvrait pour eux sous la Terreur –
Au rang de leurs cadets il en manque une trentaine
Qui furent brûlés vifs voilà huit ans à peine
Par la main des Gentils
Dans les fours crématoires de Pologne ou d'ailleurs:
Il reste un grand dépôt de jouets à Belsen –
Des cendres de l'exil ayez pitié Seigneur
Je reviens d'Amérique
Leur rendre visite comme autrefois au début du printemps
J'allais vers eux depuis l'Amérique autrement lointaine de l'enfance.
C'est pour leur signifier qu'entre nous le pacte n'est point rompu,
Que nous sommes toujours en relations charnelles
En dépit des difficultés internationales
Et du prix montant des moyens de transport transatlantiques.
Nous sommes demeurés en contact de monde mort à monde mort
Et nous n'entreprenons rien sans consultations réciproques
Dans la grande cité souterraine
De la paix qui nous unit depuis l'origine.
(…)
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. Le défi


Nos pères à la nuque roide
Ont duré dans l'exil:
Pendant deux millénaires,
Sous la double menace
De meurtre et d'asphyxie
Ils n'ont pas embrassé les genoux d'Esaü
Ils n'ont pas pris la voie la plus facile.
À la trahison de soi
Ils ont préféré le combat de Jacob.
Sous le rire des tueurs
Ils n'ont jamais haï leur propre chair.
Dans la honte et dans le feu
Ils se sont maintenus semblables à eux-mêmes,
Ils n'ont pas vendu leur droit d'aînesse
Pour un plat de lentilles,
Ni troqué la sainteté contre un lit d'argile.
Ils n'ont point confondu la vie avec la mort,
Ni tué pour périr, comme font chasseurs d'hommes.
Ils n'ont pas endossé l'habit sanglant d'Edom.
Donc :
«Un peuple d'élite, dominateur et sûr de lui»
Qui met l'orgueil des puissants au supplice.
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Jérusalem

(…) Sur cette terre aride où, dans le sel des larmes,
Ne descendit jamais une goutte de pluie,
Le reste de l'exil vient comme la rosée.
Après tant d'abandons, de misère et de ruines,
Ce pays est vivant par la grâce d'un peuple,
Où régnèrent mille ans déserts et pestilence,
Marnières de cailloux, marécages mortels,
Et cirques décharnés dont le calcaire est nu
Comme les os blanchis sur le crâne édenté.
Quel monde célébrer, langue de notre perte?
Quel triomphe vêtir de la pourpre des ruines ?
Haut dans le froid, le linge des nuages
Claque sur la maison dans l'orage d'hiver.
Vent de Jérusalem, tu cours dans la montagne
Comme le grondement du jour qui doit venir.
Nous eûmes peu de joie: et cependant une aube
De fête est sur la terre.
Sauverons-nous l'éclair, l'instant du thyrse offert
Entre étoile et rivière à la cité mouvante?
Guérirons-nous le temps, ramenant de l'exil
L'arche de bois d'olive? irriguant le désert
Avec l'huile de l'arbre? O lumière sans voix,
Parole enfin votive, éclair du cœur aimant…
Me voici de retour

Dans mon commencement. Muets, mais de désir,
Mes yeux chantent les femmes de Jérusalem:
Miriam, Rachel, Dina, mères du jeune peuple.
Dans la clarté des rues sans hâte elles mûrissent,
Toutes sont dans l'espoir du sauveur d'Israël.
Jadis comme aujourd'hui Jacob exulte en elles.
Haute marée la nuit déferlant sur la plage,
La Parole indicible est faite à leur image.
Elle invente un secret que nous tremblons d'entendre:
L'humilité de naître et de recommencer.
(…) En roulant à mes pieds douze roches forées,
Daniel mon fils m'a construit une forteresse
Avec ses petits bras qui portent les montagnes.
Ma forteresse est dressée dans le champ de pierres,
Sur un pan de colline de Judée,
Face aux maisons de la Jérusalem nouvelle.
Le soleil l'envahit, et le vent sec d'hiver,
Ma place de lumière et de roche en plein ciel,
Surplombant les quartiers de la Ville future
Entre l'épine d'or, le narcisse sauvage.
Dans le calcaire crient les noyaux de topaze
Que les enfants font éclater en gerbes d'étincelles.
Le soleil y jaillit comme des anémones;
Ses rayons renversés s'élèvent de la terre
Et rencontrent là-haut les paroles dorées,
Le langage muet de la clarté du jour.
(…)
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Terre sans hommes
(…)
Brouillard vert des forêts entre les houblonnières –
Vers cinq heures du soir, en sortant de l'école,
Dans la moiteur de juin les garçons et les filles
Au pied des châtaigniers vont cueillir les myrtilles:
Un essaim de frelons sous les sapins s'envole
Dans le surgissement muet de la lumière
Les enfants vont luger sur la colline blanche:
O Schneeweld der Kindheit,
Darfst du noch schweigend singen?
À force de silence, à force de distance,
Notre gorge s'étrangle et ne peut plus chanter.
Notre amour se détruit
Dans le si long voyage;
La mémoire s'enfuit,
Nous restons sans langage.
En bonnets de fourrure et blousons d'écarlate,
Les garçons vont luger sur la pente en plein vent.
À plat sur leurs traîneaux ferrés de vif-argent,
Ils foncent vers la mer, les glissoires éclatent.
Les bouleaux contre l'air frottent leur dos de cendres;
Aux épines du ciel arrachant leur crinière,
Ils courent dans l'espace, et ruent vers la lumière –
Une étoile a fleuri dans leurs plus hautes branches.
Les enfants ont péri
Sur la colline blanche.
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Décombres.
Flux d'asphalte.
Presqu'îles de béton.
La vie n'en finit pas dans ce pays d'exil.
Parmi les rues numérotées d'un quartier de hasard,
Planté de policiers aux poings d'écorce crue,
Les jours les mois les ans les têtes se flétrissent.
Sur le continent de ferraille des banlieues
Que ronge sans répit le vent des carrefours
S'éraillent les sifflets des trains de marchandises.
Les mouettes affamées piaillent dans la neige,
Les blocs de pierre grise affleurent sur la lande,
Et l'océan lamente au-delà des collines
Jusqu'aux noires forêts de taudis et d'usines.
L'asile de vieillards bée sur le cimetière,
Vers le sol fendillé des toits, des terrains vagues,
L'ennui, la sécheresse, et la pauvreté pleuvent.
Sur la route, encaissée entre murs et nuages,
L'oiseau s'est aboli dans la soumission.
Lac de gel, enterré sous des ailes de suie,
L'œil aveugle devient à lui-même étranger.
(…)
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