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Critique de DianaAuzou


La Géante , Laurence Vilaine, Editions Zulma****

Si on me demandait quelle est l'histoire que raconte ce roman, je dirais que c'est une histoire de sens, de leur langage simple à lenteur de fleuve d'où des vérités s'échappent et trouvent leur interlocuteur dans la montagne, la Géante, dans les rivières, dans l'air ou dans le ciel, auprès des bêtes, en foulant la terre. « J'ai été élevée sans broderies et aux couleurs de la pierre et des forêts sombres. » p.107. L'histoire est racontée à la première personne par « Noële, oui. Avec un seul l » p.93. Elle vit au pied de la montagne depuis son enfance, depuis que sa mère a été emportée dans l'au delà en donnant naissance à son frère « ma mère était plus blanche que les lys, elle s'était éteinte sans une braise pour éclairer la nuit qui l'emportait, et Rimbaud naissait sans un cri… Sa voix est restée dans les ténèbres et il est venu au monde sans le dire à personne. » p.44. « Et jamais il ne parle à personne. Jamais une poignée de main et à peine un regard à qui le croise ou lui parle, il n'y a que les pierres et les bêtes qui ont grâce à ses yeux, peut-être parce que, comme lui, les unes n'ont pas de voix et les autres, pas de mots. » p.21.

Je reste sous le charme de la beauté de ce texte à qui la plume de Laurence Vilaine donne souffle d'une manière des plus subtiles. Des mots qui disent le silence la solitude l'amour le désir. L'histoire est racontée par bribes, déchirures, extases, souvenirs, lectures presque indiscrètes de quelques lettres d'une femme amoureuse. Il y a des moments où la narration s'arrête pour suivre les mouvements d'un corps dont le langage frappe les yeux, saisit les entrailles : « ...avec les poings elle a cogné comme on cogne parce qu'on devient fou d'être enfermé. Les coudes saillants sous le grand manteau laissaient deviner son corps fin en dessous, mais le corps fin ne laissait rien préjuger de sa force. » p.17.
Il y a les lettres qu'une femme, Carmen, écrit à l'homme qu'elle aime, Maxim réfugié dans ces lieux pour combattre un crabe qui lui ronge la vie. Elles tombent dans les mains de Noële et le récit, du début à la fin n'est écouté que par la Géante. Quatre personnages et une montagne présente comme leitmotiv, lien, référence, présence immense, force protection et indifférence. Présence - absence, toutes les deux de la même puissance. Et le temps qui va vient et à nouveau s'en va, un pas en avant un pas en arrière, un présent qui se brouille, un passé qui revient, un temps qui monte un temps qui descend, quelques lettre qui laissent entrevoir une histoire , mais un voile cache les lignes nettes et laisse seule une sensation, « ton coeur devient petit, c'est celui de la Géante que tu entends battre. » p.64.
L'histoire se brouille, s'illumine, se noue, se serre, se cherche et se perd, son fil se casse, il est repris plus loin. La force de l'histoire n'est pas dans ses événements mais dans la façon dont elle est ressentie, la Géante en est le témoin fidèle. « Jamais la Géante n'a connu de cri de la sorte...un long cri de guerre… le cri des hommes contre la mort... Et de son dos tellement triste, j'ai été jalouse, de sa nuque pliée et de sa tête à genoux, de l'amour dont elle avait rempli le trou, du couvre-lit pour la nuit éternelle. Et j'ai eu grande pitié de moi. » pp.30-33

Le style de Laurence Vilaine simple, soigné dans le choix des mots, des pauses, des rythmes et de larges respirations donne à cette histoire racontée à la première personne un certain mystère qui présente des personnages plutôt esquissés, suggérés par ce que la vie les a marqués, un manque, un trop plein, un désir à peine avoué par un corps qu'il a touché et surpris. Des silences et des écoutes, un regard tendre sur Rimbaud, le garçon qui ne parle pas : « L'or fait courir le monde mais le monde se trompe de course, on ne fait pas belle fortune en vidant les rivières, et surtout quand l'or est de la pyrite de fer. Aujourd'hui…. Les cailloux qui brillent n'intéressent plus personne car il n'en reste de toute façon plus guère. A part aussi Rimbaud qui cherche et ramasse ceux-là que le monde n'a pas mis dans ses poches, parce qu'à courir, le monde passe à côté de l'essentiel, à côté des discrets, les plus secrets qui scintillent et répondent à la lune... »
La Géante lie relie révèle. Unique, elle est démultipliée dans chacun des quatre personnages, elle fait peur et protège, écoute toujours et ne répond que rarement, mystérieuse et familière, elle est vivante. Elle reconnaît, avec indifférence, les mots qui viennent du coeur, ceux qui s'étouffent et meurent avant de naître, les mots timides, les mots violents, et tous les mots que le silence sait dire si bien.
Une feuille emportée frémit au gré du vent, elle danse, se ploie, gémit chante murmure, elle est fleur et guerrière, elle nourrit notre imagination et touche nos sens du premier au sixième et d'autres encore. C'est aussi l'écriture de Laurence Vilaine. Des pages à relire, s'imprégner d'une atmosphère, et aller jusqu'à la fin car « Sans gravir les montagnes, à moins d'être un oiseau de tout là-haut, on ne peut pas savoir ce qu'il y a derrière. » p.94

Un grand merci à Magali (Ladybirdy), Régine (Zéphirine) et Yves Montmartin qui, par leur chroniques sensibles, m'ont fait découvrir la plume délicate de Laurence Vilaine.
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