Citations sur L'homme subjugué (24)
Les producteurs de films découvrent enfin, mais lentement, que les femmes se contentent parfaitement d’artistes aussi laids que Belmondo, Walter Matthau ou Dustin Hoffman, au lieu des beaux acteurs de jadis. Puisqu’ils accordent peu de valeur à leur physique et ne se croient beaux qu’exceptionnellement (ils ne voient la beauté que chez les femmes), ils s’identifient plus facilement à des interprètes qui ne sont pas des Apollons. Pourvu que les principaux rôles féminins soient tenus par de belles vedettes, les femmes absorbent ces films avec autant de plaisir que ceux où jouerait un Rock Hudson ; en fait, elles ne s’intéressent qu’aux femmes qu’elles y voient.
Lorsqu’une femme a le choix entre deux hommes, l’un âgé et l’autre jeune, dont le revenu est le même, elle choisit certes le plus jeune, non parce que sa jeunesse lui inspire un sentiment esthétique ou de la sympathie, mais uniquement parce qu’il pourra subvenir plus longtemps à ses besoins. Les femmes savent très bien ce qu’elles attendent d’un homme, aussi prennent-elles parfaitement leur décision : on n’en a probablement jamais vu préférer pour mari un pauvre diable de vingt ans à un quadragénaire fortuné.
Lorsqu’un homme quitte une femme, c’est toujours pour une autre et jamais pour être libre. Elle n’a donc aucune raison de l’envier ou de le jalouser : du point de vue féminin, la situation de l’homme ne s’est pas améliorée. Cette aventure existentielle, ce nouvel amour qui l’entraîne vers une autre, la femme abandonnée le considère à la manière du petit patron qui, perdant son meilleur employé au profit d’un concurrent, passe par les affres de devoir dénicher un remplaçant. Pour elle, un chagrin d’amour n’est, dans le meilleur cas, que le sentiment de voir une belle affaire s’évanouir en fumée.
On peut parfaitement comparer la femme à une entreprise, système neutre programmé pour réaliser le maximum de gain : la femme se lie sans amour, sans méchanceté ni haine personnelle, à l’homme qui travaille pour elle. S’il l’abandonne, l’angoisse naturellement la saisit, car son existence économique est en jeu. Sous cette angoisse aux causes rationnelles ne s’ouvre aucun abîme infini, et sa compensation est elle aussi d’ordre logique : par exemple, il suffit de prendre un autre homme sous contrat.
L’homme aime sa femme, mais tout en la méprisant, parce qu’un être qui sort chaque matin de chez lui, plein d’énergie, pour conquérir un monde nouveau — ce qui évidemment n’arrive que rarement puisqu’il doit peiner pour gagner sa vie — ne peut que mépriser l’être qui refuse de le faire. C’est peut-être la raison de tous ses efforts pour favoriser le développement spirituel et intellectuel de la femme : ayant honte pour elle, il croit qu’elle aussi a honte.
Pourquoi la femme n emploie-t-elle pas son cerveau ? Parce que, pour rester en vie, elle n’a besoin d’aucune faculté d’ordre spirituel. Théoriquement, une jolie femme qui n’aurait que l’intelligence d un chimpanzé réussirait parfaitement dans une société humaine.
...l’homme est une sorte de machine productrice de biens matériels. On n’apprécie pas une machine d’après des critères esthétiques, mais à un point de vue purement fonctionnel. L’homme, qui pense comme la femme, se juge de même. Il est tellement accaparé par son travail, tellement épuisé par la lutte continuelle qu’implique sa concurrence avec les autres hommes, qu’il lui manque le recul nécessaire pour se voir tel qu’il est.
Les bébés nous « émeuvent » par leur incapacité à se débrouiller seuls ; ils ont un petit corps et de petits membres joyeux, une peau immaculée, jeune, délicate, tendue sur de petits matelas de graisse. On les fait rire facilement, ils se conduisent de façon amusante, ce sont de mignonnes réductions des adultes, et comme ils ne peuvent se nourrir eux-mêmes, il va de soi qu’on s’occupe d’eux et qu’on se charge de toutes leurs difficultés.
L’homme, qui aime la femme et souhaite passionnément, par-dessus tout, son bonheur, la suit encore sur ce terrain : il produit pour elle du rouge à lèvre qui ne tache pas, du noir aux yeux qui ne la fait pas pleurer, des bigoudis chauffants qui remplacent ses ondulations absentes, des blouses plissées qu’elle n’a plus à repasser, des sous-vêtements qu’elle jette au fur et à mesure qu’ils sont sales. Car il a toujours le même but, la délivrer de ces mesquineries une fois pour toutes, lui permettre de réaliser en elle ce qui est spécifiquement féminin et donc étranger à son esprit d’homme, satisfaire les aspirations « élevées » — à ce qu’il croit — de la nature plus délicate, plus sensible, de la femme, pour qu’enfin elle puisse mener la seule et unique existence qu’il considère digne d’être vécue : une vie d’homme libre.
Un homme viril ne porte aucun joyau, sauf son alliance, signe certain qu’il est déjà exploité par une femme particulière. La grosse montre pataude qu’il porte au poignet, résistante aux chocs, étanche à l’eau, avec indication de la date, n’est vraiment pas un luxe. Souvent, c’est un cadeau de la femme pour laquelle il travaille.