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Critique de alexandra1967


(octobre 2014)

Ainsi démarre cette fresque familiale "Maurice était piqué au milieu du vestibule. Un rayon de lumière pâle traversait une fenêtre et dessinait des flaques tachetées sur les carreaux de marbre. Seul le battement monotone du bras de Félicité qui frappait les tapis sur la terrasse troublait le silence de l'hiver."

J'ai dévoré cette fresque familiale. C'est un premier roman magistral, impressionnant, abouti. La plume de l'auteure est élégante et féroce, sublime.

A travers le destin d'une famille aristocratique, la jeune auteure nous fait traverser minutieusement la France de la Libération à l'aube du XXIé siècle. Trois générations suffiront pour acter le déclin, de la gloire du château à sa triste métamorphose en chambre d'hôtes puis en musée. Les habitudes ancestrales sont devenues des vestiges, la richesse culturelle une sclérose, la bonne éducation des apparences pesantes, pour franchir le cap du nouveau paradigme en marche.

Dans cet inexorable déclin de la France aristocratique, les personnages vont devoir prendre parti … ralentir ou accélérer, se fermer ou s'ouvrir, s'offusquer ou provoquer … et rien n'y fera vraiment, la course vers la "modernité" est en marche :

-> la guerre de 39-40 et l'antisémitisme, la libération,
-> les aristocrates visite-malades et les pleureuses dans les villages,
-> l'Indochine puis l'Algérie,
-> la radio puis la télévision prennent le pouvoir dans les foyers, elles répandent d'autres vérités
-> des soupçons d'ouverture ou de scandale lors de Vatican II en 1965 ("nous sommes ouverts, nous avons autorisé la lecture De Voltaire pour le baccalauréat"),
-> les conciles et la prêtrise : affirmer encore que "rien de bon en ce monde" et améliorer le confort des monastères, "leur perte "!
-> la femme aristocrate qui veut rester à la maison et les autres femmes qui se battent pour leur liberté,
-> Mai 68, la libération des moeurs, l'homosexualité n'est plus une maladie, la protection des femmes (le planning familial et la contraception après les faiseuses d'anges),
-> les nouveaux riches et les parvenus,
-> la crise de 1974 et l'embargo arabe,
-> les Rallye, l'institution des mariages arrangés, issue de la paupérisation des classes aristocratiques
-> l'accession de Mitterrand en 1981 et le "chacun son tour" et le début des valses,
-> 1984 la famine en Ethiopie et le chômage dans les banlieues dortoirs,
-> 1985 le sida et la culpabilité du plaisir et de l'amour
-> 1989 la chute du mur de Berlin …

Et tout s'enchaîne. La culpabilité, pitié d'hier, s'appelle maintenant solidarité. Les colonisateurs sont contraints d'adopter une autre conscience du Tiers Monde. Et les parvenus des classes moyennes commencent déjà à souffrir de leur paupérisation. Chaque loyauté à la grandeur passée est jugée rétrograde, "il faut vivre avec son temps", et l'évolution des moeurs a le dos large, comme le goût du pain et des jeux du peuple de Rome.

De ce tourbillon que reste-t-il aujourd'hui ? L'Histoire, familiale, sociale, culturelle, semble structurellement être un poids dont il faudrait s'affranchir en la reniant. Nous sommes en 2016, dans une France déchirée et meurtrie, en plein coeur d'un Monde qui, à nouveau, construit l'avenir des uns en détruisant les héritages passés d'autres.

Pendant ces Quarante ans d'histoire de France, qu'avons-nous oublié ? qu'avons-nous omis de préserver ?
Ce qui nous manque cruellement aujourd'hui : la tolérance de la diversité dans une Europe enfin pacifique.

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