Citations sur Cartographie de Nos Bleus (6)
Au XIVe siècle aussi, la coutume de Bordeaux estime qu'un mari qui tue sa femme dans un excès de colère, n'encourt AUCUNE peine, s'il s'en confesse repentant par serment solennel.
Après la loi Naquet, qui permet le divorce sur le seul fondement de fautes précises ( adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante, excès s, sévices et injures graves), 80% des demandes de divorces sont déposés par des femmes, dont les 3/4 invoquent des sévices et des injures graves.
Au début du XXe siècle, le viol n'est pas sanctionné, le meurtre en flagrant délit d'adultère est excusable, et par conséquent, soit acquitté, soit puni de 1 à 5 ans de prison, alors qu'un meurtre tout court est alors passible de 10 à 20 ans de prison.
Comme je m'approche de la bouteille convoitée j'entends tout près de mon oreille une voix d'homme asséner : "... vraiment incapable...". Je me glace. Ma tête se tourne, une partie de mon cerveau comprend que les mots que je viens d'entendre font partie d'un échange qui ne m'est pas destiné, qui n'a rien à voir avec moi. Mais pendant ce temps ailleurs dans ce même cerveau font surface toutes les phrases que l'autre a prononcées ainsi, tout près de mon oreille et d'un ton presque égal, desserrant à peine les lèvres. La peur ancienne redevient en un instant présente, les gens autour de moi deviennent flous et lointains, je bascule, je le sens et n'y peux rien. Je me recroqueville sur moi-même, crie. Le brouillard qui m'entoure s'agite de silhouettes qui cherchent à me guider vers un canapé, des voix étouffées me parviennent, au bout de ce qui me semble une éternité mais n'a sûrement duré que quelques instants je reprends peu à peu pieds.
Cheveux arrachés, coquard, œil au beurre noir, pommette gonflée, joue déchirée sur plusieurs centimètres, coups à l’oreille (pas de trace visible), tympan foutu (perforé), lèvre fendue, dent perdue, mâchoire brisée, cicatrice au menton, traces d’étranglement sur le cou, coup à l’épaule (pas de trace encore), épaule démise, bleus dans le dos, bras tordu, bleus sur le bras, bras cassé, griffures, poignet cassé, poignet tordu, entorse au doigt, rhumatisme dans un petit doigt cassé, hématome sur les côtes, coup au ventre (pas de trace), fausse couche, utérus explosé, foie détruit, brûlure à la cuisse (cigarette), d’autres fractures, une brûlure de cigarette encore, d’autres bleus, d’autres brûlures.
Elles ne veulent rien laisser au hasard, anticiper le plus possible sur toutes les conséquences, alors elles se réunissent dans le local de l'asso pour discuter longuement des options possibles.
Lui coller la honte à un évènement public, trasher son appart', lui casser la gueule, faire des tags partout dans sa rue et près de son boulot "Machin est un homme violent", le perturber avant un rendez-vous d'embauche ou un examen s'il en a, aller changer sa demande de mutation sur Internet s'il est fonctionnaire, on connait bien des hackeuses non ? Elles hésitent.
Il faut que l'action décidée convienne à Morrigan, et ne fasse courir de risques judiciaires à personne, autant que possible.
Alice a lu la nouvelle dans un gratuit qu'elle feuilletait dans le métro, un petit encart sur le côté d'une page, perdu entre le résultat d'un match de foot et la participation d'une star quelconque à un projet caritatif, un fait divers comme il y en a souvent, un homme qui a assassiné une femme, "sa" femme. C'est toujours un coup, mais cette fois la ville indiquée ajoute l'inquiétude à l'horreur.
Fatiha l'entend sur France info, une annonce rapide dans le flash de six heures.
Morrigan reçoit un SMS de Rani : "Tu as entendu pour le meurtre à Saint-Denis ?"
Marion dort encore.
Alice envoie un texto à Lubnia : "Tout va bien ma belle ?"
Et dix minutes plus tard, sans réponse, elle envoie à Fatiha, Morrigan, Marion, Kosala, Lena, Mbali, Véronique : "Quelqu'une a des nouvelles de Lubnia ? L'a eu hier ou ajourd'hui ?"
Fatiha : "Je viens d'essayer de la joindre, ele n'a pas répondu."
Morrigan : "On pourrait demander à l'asso, à Nadia ?"
Alice : "Je les contacte."
Marion, une heure plus tard : "Pourquoi vous essayer de joindre Lubnia, qu'est-ce qu'il se passe ?"
Kosala : "Une femme tuée à Saint-Denis."
C'est via Nadia qu'elles reçoivent à onze heures l'horrible confirmation : Lubnia est la victime de Saint-Denis. Lubnia a été abattue la veille par son ex sur le parking de la crèche où elle venait chercher sa petite fille. Lubnia qu'elles retrouvaient chaque mois à l'atelier, Lubnia lumineuse, Lubnia riante, Lubnia pleine de projets, Lubnia qui s'était un peu reconnue dans chacune des autres, Lubnia dans laquelle elles s'étaient toutes un peu reconnues.
Pour dix femmes que vous connaissez, il y en a sans doute une ou deux, et probablement plus, qui sont en ce moment victimes d'agressions masculines, ou qui l'ont été.