Citations sur Blizzard (312)
Quand Magnus m'a ouvert sa porte, j'ai compris bien vite qu'ici les gens vous demandaient jamais d'où vous veniez. Vous pouviez être sorti les fesses tout droit de l'enfer ou être descendu du paradis, ça faisait pas de différence. Si vous étiez prêt à vivre au milieu de nulle part, à travailler dur, quel que soit le temps, et à pas vous plaindre, il y avait une place pour vous. Çà m'allait bien parce que des trucs cachés sous le tapis, j'en avais quelques-uns. On s'en sort pas dans la vie sans casser quelques œufs.
Il pense qu'aujourd'hui on ne peut plus disparaître sans laisser de traces. Quelle innocence. Je suis bien placée pour savoir qu'on peut tous se volatiliser si on s'en donne la peine et encore plus si l'on a une bonne raison de le faire.
La guerre nous avait pris notre fils et elle ne nous avait restitué que le négatif de la photo, juste une ombre blanche sur un fond désespérément sombre.
C’était mon aîné, mon seul frère, et j’aurai volontiers mis mes pas dans les siens jusqu’à la fin de nos jours. Il était différent du reste de la famille, tandis que je ressemblais physiquement à papa, trait pour trait, tel père tel fils. Pourtant je voyais bien que le paternel ne le regardait pas de la même manière que moi. Thomas existait déjà comme un individu entier et complexe, alors qu’avec mes trois ans de moins je n’étais qu’un adolescent mal dégrossi. C’est ce qui nous a éloigné petit à petit l’un de l’autre, ce qui est paradoxal vu que nous n’étions déjà pas bien nombreux dans le coin.
Je voulais lui montrer qu'un vide, même vertigineux, pouvait être combler par la chaleur humaine, rempli petit à petit, comme un verre gradué, millilitre par millilitre.
Il lui avait raconté les terres arides après les terres gelées, les plaines verdoyantes après les montagnes, les déserts et les flèches en argent des villes, les Wasp, les Afro-Americains, les Mexicains, les Japonais plus américains que lui, les noms de toutes sonorités évoquant l'Orient, l'Asie, l'Europe de l'Est, la nourriture fabriquée de toute pièce et les légumes ramassés à l'aube, à même la terre.
J'avais nulle part où aller, mais presque tout à disposition sous la main. Il suffisait de rester à côté de Magnus. Même son ombre vous aurait appris quelque chose.
Je voyais bien qu'ils me regardaient bizarrement parce que je n'avais pas changé mon aspect extérieur, même le jour de l'enterrement. Je portais mon t-shirt jaune,avec la tête de Jim Morrisson affublé d'une perruque blonde, c'était celui qu'elle préférait, celui que je refusais de lui prêter. J'aurai donné n'importe quoi pour qu'elle puisse encore me le demander, pour pouvoir le lui offrir, celui-là et tout ce qu'elle pourrait désirer. C'est pour cette raison que je le portais ce jour-là et pas des vêtements noirs qui auraient été tout sauf un hommage. Personne ne l'a compris.
Ici, il n'y a que de l'eau douce, des hectolitres d'eau douce, des lacs, rivières, fleuves, ruisseaux, cascades. De l'eau partout, tout le temps, sous toutes ses formes. Gelée, fondue, claire comme de l'eau de roche ou boueuse au printemps.
Parce que ça n'a pas de sens, et qu'ici tout a un sens, parce que chaque geste vous coûte un effort et que Dame Nature, elle ne vous fait jamais de cadeaux. C'est ça le deal. Vous voulez vivre ici? Profiter de l'air pur du gibier, du poisson ? Être libre de vos actes, ne rendre de compte à personne et peut-être ne croiser aucun être humain pendant des semaines ? Libre à vous. Mais le jour où vous vous retrouverez nez à nez avec un kodiak ou que votre motoneige ne voudra plus démarrer alors que vous êtes à des miles de votre piaule, il faudra accepter l'idée que personne ne vous viendra en aide, à part vous-même.