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Critique de MarianneL


Bombe littéraire à fragmentation.

Sans emphase ni exagération, «Abattoir 5 ou la croisade des enfants», le sixième roman de Kurt Vonnegut (1922-2007), publié en 1969, fait partie des livres incontournables, à lire et relire absolument.

À l'origine, il y a la vie de Kurt Vonnegut : Fait prisonnier par les Allemands en décembre 1944, Il fût transféré à Dresde où il travailla dans un abattoir, et fût un des rares survivants du bombardement de la ville en février 1945, refugié avec quelques autres soldats américains dans les caves de l'abattoir.

Kurt Vonnegut voulait évoquer son expérience de la guerre, mais comment dire l'horreur sans tomber dans un effroi abyssal ou une dépression insurmontable, ni dans des stéréotypes qui pourraient faire passer la guerre pour une aventure utile ? Il répond à cette question insoluble avec un récit en apparence absurde et dénué de sens, comme la guerre, un chef d'oeuvre poignant, désespéré et en même temps d'un humour féroce.

Le héros du livre, homme sans qualités du nom de Billy Pèlerin et double fictionnel de Vonnegut, a rencontré des extra-terrestres, les Tralfamadoriens qui l'ont kidnappé et comme eux, il a «décollé du temps», ce qui signifie qu'il voyage dans le temps de sa propre vie, avec des allers et retours imprévisibles et incessants, ne sachant jamais quel est le prochain moment qu'il va vivre.

Billy Pèlerin est ainsi tour à tour en lune de miel, sur le point de survivre à un accident d'avion en 1968, sur le front pendant l'ultime offensive allemande de 1944 et ne voulant pas se battre, à Chicago pour prononcer une conférence sur les soucoupes volantes et la nature du temps en 1976, exposé nu dans un zoo de Tralfamadore en compagnie d'une jolie starlette, Montana Patachon, ou encore en février 1945 sous les bombes de Dresde…

«Un anesthésique est insufflé dans l'air que respire Billy pour l'endormir. On l'emporte dans une cabine pour l'endormir. On l'emporte dans une cabine où on l'attache à l'aide de sangles à un fauteuil-relax jaune dérobé dans un entrepôt de Prisunic. La cale de la soucoupe était bourrée d'objets volés qui serviraient à meubler l'habitation reconstituée pour Billy dans un zoo de Tralfamadore.
L'insupportable accélération, cependant que la soucoupe quitte la Terre ratatine le corps assoupi de Billy, lui tord le visage, le ravit au temps, le réexpédie à la guerre.
Quand il revint à lui, il n'était pas sur la soucoupe. Il traversait l'Allemagne sur un wagon de marchandises.»

Kurt Vonnegut raconte la guerre en tournant autour et en la fragmentant. L'effet est étourdissant, les événements se succèdent sans enchaînement logique apparent, mais le flot du récit est totalement fluide malgré les sauts temporels, régulièrement ponctué de cette phrase faussement stoïque : «C'est la vie».

La tragédie de la guerre est totalement absurde, et une simple description des événements ne saurait transmettre l'inconcevable. Ce conte qui a recours à la science-fiction et au contournement, renvoie en miroir aux mots de Sebald à propos des récits des rescapés des bombardements, qui «se caractérisent en règle générale par leur discontinuité, leur caractère singulièrement erratique, en telle rupture avec les souvenirs nés d'une confrontation normale qu'ils donnent facilement l'impression de n'être qu'invention pure ou affabulation.» (W.G. Sebald, de la destruction comme élément de l'histoire naturelle)

Mais comment ai-je pu attendre si longtemps avant de lire ce chef d'oeuvre ?

«Billy, grâce à ses souvenirs du futur, sait que la ville sera réduite en miettes avant de flamber, dans trente jours à peu près. Il se rend compte aussi que la plupart de ceux qui l'observent mourront très bientôt. C'est la vie.»
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