La baronne des glaces, tome 1 : Jusqu'au bout du monde

Gricha se souvint à cet instant de l’ourse au bord du grand lac, mais il avait l’impression que cette vision remontait à une éternité. Il se rappela ce que Katya lui avait enseigné ce jour-là : la capacité à décider quand il fallait combatte et quand il valait mieux choisir la voie de la sagesse. Il se demandait si, au fond, tout dans l’existence ne se ramenait pas à ce dilemme. Et comment on pouvait savoir quelle décision serait la bonne

La glace chante…
Il y avait 7 ans qu'elle ne l'avait plus entendue. Katya n'avait jamais oublié la beauté de ce chant, mais elle était surprise qu'il l'a bouleverse toujours autant alors qu'elle avait maintenant seize ans.
Un long chemin séparait la fillette grandie au bord du lac russe de l'instant présent. Elle comprit avec étonnement qu'elle était devenue adulte sur ce chemin.
Elle avait encore mûri depuis que la mince couche de glace s'était rompue sous elle. Elle en avait retiré une compréhension nouvelle de la glace, son élément naturel, et de la vie en général. Elle ne les en aimait toutes deux que plus profondément.

_ Les Inuits, poursuivit-il sur un ton grave et presque solennel, racontent qu'au commencement du monde la glace brûlait encore pour apporter chaleur et lumière aux hommes. Si tu me poses la question, je te répondrai qu'il n'existe pas d'élément plus puissant que le froid. C'est la glace qui maintient notre monde en équilibre.
Sous les premiers flocons qui tombaient du ciel et dansaient autour d'eux, Katya laissa les paroles de Johann Silberberg se déposer en elle. Peut-être était-ce ce qu'elle-même avait toujours ressenti. La magie secrète de la glace. Une puissance singulière et unique.

- Les Inuits appellent la glace haard’dloq quand elle est neuve et encore très mince, racontait Johann Silberberg en marchant le long de la rive enneigée du détroit. Hikuliaq, quand elle est encore glissante, mais qu’on peut marcher dessus. Kaneq, les fleurs de givre qui apparaissent quand sa surface n’est plus glissante et devient assez dure et solide pour qu’on puisse marcher dessus sans danger. Aputainnaq, la couche de glace traîtresse dissimulant les eaux d’un océan. Les Inuits ont un vocabulaire très riche pour décrire la glace parce qu’ils vivent avec elle depuis la nuit des temps et que leur existence dépend d’elle. Tandis que nous autres, nés sous des climats tempérés, qui nous replions dans nos maisons en hiver, nous commençons à peine à la comprendre.
[...]
Ritni, la croûte de neige recouvrant les arbres et les rochers. Cuojηo, une congère gelée assez épaisse pour supporter le poids d’hommes et d’animaux. Skavvi, la glace qui se forme le soir après le dégel de la neige au soleil. Ciegar, un champ de neige piétiné et retourné par des rennes. Guoldu, un nuage de neige que le plus léger souffle de vent soulève du sol gelé. Jiekηadoadjin, l’instant où la glace se détache.

"Ne sous-estime pas la puissance des détours, Katya. Le chemin le plus court n'est pas toujours le meilleur. Ce sont les détours qui vous préparent au bout de votre voyage, et ils vous y mènent aussi bien que les trajets les plus courts."