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Critique de Chestakova


II y a plusieurs chemins pour dénoncer l'ordre du monde, la littérature en porte de multiples, Éric Vuillard choisit la distance, celle qui révèle et amplifie les crimes, loin des champs de bataille. Ils sont pourtant bien présents ces champs de bataille, inscrits au futur dans le mépris ordinaire tel qu'il s'offre aux yeux des tous premiers inspecteurs du travail, ce 25 juin 1928, aux environs de Saigon. Paysans tonkinois entravés au fil de fer, barres de justice négligemment oubliées çà et là, moribond battu à mort, les plantations Michelin de Cochinchine annoncent des temps futurs de la révolte et les paysans annamites qui feront tomber le camp retranché de Dien Bien Phu, empruntent leur force de soldat à des décennies d'oppression. Navarre, concepteur génial de la bataille perdue d'avance, n'en finit pas de s'étonner de devoir la défaite à une armée de paysans, dont les morts se comptent par centaine de milliers et qui réussissent néanmoins à tenir tête à une « armée moderne ». Il faudra néanmoins encore une vingtaine d'années pour que le relais passé par les français aux américains se dénoue par l'ultime défaite du modernisme et de l'argent. Comme il a ouvert son récit par le temps des colonies Eric Vuillard le termine avec la chute de Saigon et le départ sans gloire des américains.
« Dans l'espérance dérisoire d'une sortie honorable, il aura fallu trente ans, et des millions de morts…Trente ans pour une telle sortie de scène. le déshonneur eut peut-être mieux valu. »
Eric Vuillard renvoie dos à dos les responsables des guerres, il va tout au long de ses pages distiller leur complicité, leurs intérêts communs, leur aveuglement meurtrier. Il en fait la démonstration dans une géographie du pouvoir, au long cours des cabinets ministériels dont il montre bien la continuité en quelques phrases, les portraits prennent forme : les hommes politiques de Pleven à Bidault jusqu' à Forster Dulles, les banquiers de la banque d'Indochine, les généraux : de Lattre, Navarre, de la Croix de Castries dont le regard plein de certitudes accueille le lecteur sur la couverture du livre. le récit tisse avec humour les liens qui cimentent ces milieux. Liens financiers : les membres du conseil d'administration de la banque d'Indochine ont des intérêts partout, le bois, le ciment, le cuivre, les charbonnages du Tonkin…Liens de pouvoir nichés au creux des familles, celle de la Croix de Castries est éloquente en ce sens. Tous ces intérêts convergent autour du choix de Dien Bien Phu, qui en ouvrant la voie vers le haut Laos, présente tous les atouts d'une victoire assurée en guise de « sortie honorable ». « Plus on approche du pouvoir moins on se sent responsable » constat glissé par l'auteur au fil des pensées d'un Navarre ravagé par la défaite. La virtuosité de ce récit réside bien dans la réalité des responsabilités politiques, démasquées, mises à nues dans leur médiocrité. En négatif ,l'hommage aux peuples qui se battent pour leurs droits est bien présent.
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