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Critique de walkParis


Attention biais personnel: je connais l'auteur.

Pour les vieux, imaginez "L.627 chez les helvêtes", "les Ripoux du lac de G'nève" soit un roman librement inspiré de l'expérience de l'auteur dans la police genevoise, à mi-chemin entre le Bildungsroman et la descente aux enfers. Lucien a eu plusieurs vies, et je l'ai connu prof pour ados difficiles, puis aspirant condé. Les premiers chapitres qui décrivent le processus de sélection pour entrer à l'école d'inspecteur flairent donc les bons souvenirs de discussion entre potes de l'époque, et témoignent de la véracité du reste.

La dichotomie école/flic est omniprésente à travers le roman. Même s'il n'évoque pas ses années d'enseignant en détail, le clash entre son attitude pédagogique bienveillante/son pointillisme correcteur de fautes d'orthographe/son côté "bon élève, si je suis les instructions et que je travaille dur tout se passera bien en méritocratie" vs. l'environnement macho et autoritaire de la police est visible à travers tout le livre. Même son style d'écriture, débarrassé de toutes les fioritures dont débordait "Fables - La quête de l'oiseau noir" est à mi-chemin entre la rédaction scolaire et le rapport de police. C'est d'ailleurs ce côté dépouillé qui m'a le plus surpris, dès les premières pages. Sobre, factuel, employant des mots très simples pour décrire un réalité parfois insoutenable. Mais ça ne s'arrête pas au style: en tant que personnage, Lucien *veut* réussir (parfois en brisant les règles lui-même), *veut* être le stagiaire modèle, *veut* être dans une brigade passionnante... et le choc avec la réalité du monde du travail, mêlé au monde du crime, est dévastateur.

Autre choc, celui entre son enfance dans la petite Sibérie du canton de Neuchâtel et les rues interlopes de Genève. Pour beaucoup, Genève est une ville stérile, ripolinée, mais elle a bien ses trafics et sa violence, parfois avec armes à feu, ses quartiers chauds. J'ai d'ailleurs adoré la partie sur la politique du chiffre et la gestion de la géographie urbaine. Et surtout Genève a ses Genevois, qui sont bien les Parisiens de la Suisse Romande (plutôt XVIe que Belleville, hein. Ils n'appellent pas les non-Genevois "les provinciaux", juste "les confédérés", alors qu'ils font eux aussi partie de la Confédération Helvétique. En tant que Parisien, je trouve Genève petite, un peu light niveau crime, et très Blanche (les classes laborieuses ce sont les Français frontaliers). le louchébem n'est pas un langage codé importé par les flics, c'est ma culture de parigot. Mais pour l'auteur, c'est la découverte d'une grande ville inconnue, l'apprentissage des différents physiques africains etc.

Content warning pour les gens habitués aux textes inclusifs et progressistes, le livre a une grosse dose de sexisme et de racisme, pas pour choquer le bourgeois, mais parce que la réalité n'épargne pas le narrateur qui a fait le choix de ne pas reformuler ou atténuer.

De même, les scènes d'opération policières ne sont pas là pour faire du hollywoodien, on est plus dans Strip Tease que dans Luc Besson. Elles sont passionnantes, parfois cocasses mais confirment mon problème principal avec le rôle réel de la police: elle sert aussi à maintenir un ordre bourgeois parfois absurde (les saisies de cannabis) et au delà du crime, elle est surtout en contact avec la pire misère humaine. Et même si les flics genevois sont sans doute mieux payés que leurs homologues frouzes, et donc moins dans la misère eux-même, les suicides et la violence gratuite sont aussi endémiques.

En lisant la description des affectations dans les différents services, les horaires hallucinants, la fatigue incessante, je comprends pourquoi j'ai perdu Lucien de vue, bien au-delà de la distance géographique. Lire des dizaines de pages de descente aux enfers, de mobbing, de doutes sur ses choix de vie m'a plongé dans des choses dont on n'avait jamais parlé, et même si c'est un roman, j'ai vraiment eu l'impression de lire son journal intime. Et quand c'est le journal intime d'un pote, ça fait toujours bizarre.

Bref, "La grande maison" n'est ni un livre au style divertissant ni une profonde réflexion philosophique. Il parlera moins aux titis parisiens qu'à des gens qui ont grandi en Romandie, voire qui connaissent Lucien. Mais je l'ai fini la semaine dernière et je n'arrive toujours pas à le sortir de ma tête.
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