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Critique de JustAWord


est en 2021 que Chris Vuklisevic arrive dans toutes les bonnes librairies de France avec Derniers jours d'un monde oublié, son premier roman de fantasy. Remarquée par le public comme par la critique, l'autrice n'en reste pas là puisqu'elle revient deux ans plus tard avec un second ouvrage énigmatique et envoûtant : du thé pour les fantômes.
Que nous réserve-t-elle pour sa première incursion dans le monde du fantastique et des esprits ?

Fantômes et papillons
C'est un roman en poupées russes qui s'offre à nous, comme un coffre aux merveilles qui empile les trouvailles les unes sur les autres.
Dans les environs de Nice, au creux d'un endroit qu'on appelle la Vallée des Merveilles, se trouve de petits villages perdus dans le nul part.
L'un deux, Bégoumas, a vu tous ses habitants déserter dans la nuit du 15 au 16 août 1956, devenant de fait un endroit mort où une seule personne s'est accrochée, une certaine Carmine.
Mandaté par le directeur des archives départementales des Alpes-Maritime, un homme se met en quête de la vérité et tombe à la place sur une drôle de vieille femme nommée Félicité.
Félicité, fille de Carmine, réside à Nice et gagne sa vie en tant que « Passeuse ». Elle aide les gens à rencontrer leurs parents défunts et à les questionner, à répondre aux interrogations laissées en suspens, le tout armée d'une théière et de quelques thés-étranges.
Félicité vivait jadis à Begoumas avec sa mère… et sa soeur jumelle, Egonia (ou Agonie, c'est selon). Deux soeurs très particulières qui ont chacune hérité de pouvoirs à la fois fascinants et maudits.
Félicité, joie de vivre de sa mère, peut voir les défunts et communiquer avec l'au-delà.
Agonie, indésirée et réprouvée, crache des papillons vénéneux à chaque mot une fois sa muselière enlevée.
Une passeuse et une Sorcière, et le drame familier de deux soeurs qui se quittent et s'oublient.
Voilà qu'un jour, Carmine passe de vie à trépas et Félicité, dernier témoin de cette mère devenue fragmentée, se met en tête de reconstituer le puzzle de son existence.
Dans une tasse de thé, sa soeur Agonie lui répond car elle aussi veut savoir.
S'ensuit une aventure poétique et grandiose dans Nice et ses environs, jusqu'au désert d'Almeria et sur les rives d'une guerre oubliée.
Chris Vuklisevic invente un monde fantastique, celui des théiologues qui parlent aux fantômes, celui des sorcières qui font pousser des fleurs de mort et celui des noms qui capturent tout de vous à moins que ce ne soit l'inverse.

Poésie hantée
Quelle langue prodigieuse pour vous servir cette histoire brumeuse et lumineuse, qui retrouve les couleurs du monde à travers les souffrances des femmes qui peuplent cette quête des origines.
Quelle langue, quelle plume que celle de Chris Vuklisevic, délice de tous les instants, poésie raffinée qui ose la prose et les confrontations, qui ose et ose encore parce qu'elle aime les images qui imprègnent la rétine.
Mais que serait des mots et un style aussi raffiné sans l'aventure qui va avec, celle qui résonne en nous et nous fait vibrer, risquant de briser le carcan de nos perceptions d'êtres humains limités ?
Le fantastique, pour Chris Vuklisevic, c'est l'occasion d'exposer les entrailles de ses personnages au monde alentour, de les retourner et nous retourner dans un même mouvement pour nous montrer le sublime, le morbide et l'indicible. Car oui, du thé pour les fantômes est un roman de drames intimes et de quêtes impossibles.
Nous y suivons deux soeurs que tout semble opposer, aux prénoms particulièrement éloquents et qui, dès l'instant des premières souffrances, deviennent impossible à oublier. On trouve cette force et cette profondeur qui font souvent défaut ailleurs, on trouve la beauté dans ce qui ne devrait être que du noir, comme l'enfance d'Agonie ou celle de sa mère, Carmine.
On trouve l'envie de saisir la personnalité de ces femmes non pas d'un tenant mais par une approche fractale, comprenant la multiplicité de l'esprit, les nombreuses vies qui nous habitent.
Chez Chris Vuklisevic, la simplicité n'est pas une option, elle n'existe simplement pas et la complexité du monde, des histoires et des êtres de chair ou d'ectoplasme, est une réalité palpable qu'on ne remet jamais en doute. Il faudra s'accrocher pour découvrir les facettes multiples de ces deux soeurs, tristes et belles à la fois, fortes et brisées en secret.
Vient alors l'évidence : ce ne sont pas elles qui occupent véritablement le centre de cette histoire mais bien la mère défunte, celle que l'on déteste autant que l'on aime, qui nous a construit autant que détruit, Carmine aux noms multiples.

Le nom de toutes choses
Du thé pour les fantômes montre Carmine, Carmen, Caridad, Carine.
Explorant leurs histoires, leurs drames et leurs joies, leurs fiançailles et leurs guerres. Trouvant des noms différents, des « outrenoms » mêmes tissés de magie et de malédictions, que l'on s'impose ou que l'on impose.
Agonie, Egonia. Félicité. Clé.
Et dans tout cela un cri. Celui de femmes qui veulent exister sans devoir rendre de compte, supportant le poids des années et des terreurs qui les hantent. On trouve dans le roman de Chris Vuklisevic une fascination pour la recherche et l'histoire, pour l'envie de retrouver les origines et comprendre d'où l'on vient pour apaiser qui l'on est devenu.
Tout le roman se construit sur cette envie de découvrir le passé, de le faire sien pour répondre au présent et se construire un futur enfin véritable.
Ainsi, un homme tente de résoudre le mystère d'un village disparu, deux soeurs veulent comprendre leur mère défunte et le lecteur, lui, se plonge dans l'existence de ces deux soeurs chassées de chez eux.
Tissant des liens complexes entre soeurs, du thé pour les fantômes explique patiemment, comprenant que nous ne sommes rien tant que nous ne savons pas d'où nous venons et pourquoi.
Dans ce tourbillon d'émotions, de passions, de larmes, voici pourtant que s'installe une mythologie à base de thés qui permettent des choses extraordinaires, de théières sauvages et de troupeaux que l'on dompte, comme une touche d'apaisement et de calme dans l'orage.
Mais oui, Chris Vuklisevic le sait, toute cette magie reste précaire, elle demande du temps, de l'attention, et parfois réparation tel le Kintsugi, cet art japonais pour recoller les morceaux mais sans cacher les fissures.
Du thé pour les fantômes, c'est tout à fait cela, l'art de rassembler les choses brisées pour faire de ces fractures les futures lignes de force de ceux qui ont eu l'audace de savoir.
À la façon des Voleurs d'innocence, la française s'invite dans le monde des morts pour mieux saisir les vivantes, roman de femmes sorcières et de fantômes tenaces, magnifiant la sororité et la beauté d'un apaisement enfin retrouvé avec soi-même.

Dès son second roman, Chris Vuklisevic signe un chef d'oeuvre.
Quand les fantômes prennent le thé, les langues se délient et les émotions fleurissent, libérant les papillons du passé pour peupler le présent des tourments et des espoirs de toutes celles qui vivent encore. Magnifique, sublime, formidable.
Lien : https://justaword.fr/du-th%C..
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