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Critique de LaBiblidOnee


Jeu Blanc. le titre est déjà un édifiant jeu de mots résumant ce que représente le Hockey pour Saul : d'abord ce jeu grisant pratiqué sur le blanc éblouissant de la glace, reflétant la lumière dans laquelle il tente de s'aveugler pour ne pas voir la noirceur de sa vie - lumière dans laquelle il se jette à corps perdu pour fuir ses propres zones d'ombre ; mais aussi un jeu que l'homme blanc croit être le seul à pouvoir pratiquer dignement. Un jeu de blancs. Un jeu qui l'aidera malgré tout à combler les blancs de sa vie.


Saul était petit, lorsque les hommes blancs l'ont violemment arraché à ses racines naturelles et aux siens, pour le « civiliser ». Pour ce faire, de nombreuses « écoles » catholiques accueillaient de force les enfants indiens. Hélas, ceux qui ont lu Diderot savent que la religion n'est pas le refuge ultime qu'elle voudrait faire croire. Dans ces endroits, où sévices et punitions supplantent Amour et compassion, Saul survit grâce à sa passion toute nouvelle pour le hockey qu'il y découvre. Il s'y accroche comme le seul rempart préservant une part de vie et de liberté dans un quotidien de contraintes, un refuge pour lequel il accepte tout, y compris de se lever aux aurores pour s'entrainer dans le froid piquant. Cette sensation de légèreté, lorsqu'il s'élance sur la glace laiteuse et luisante, cette liberté qui l'effleure lorsque le vent caresse son visage, les bruits et les odeurs qui le remplissent tout entier, ne laissent plus de place aux mauvais souvenirs : ceux de la déliquescence de sa famille, parquée dans une réserve, ou encore de cet emprisonnement et des traitement reçus au nom d'un Dieu en qui il ne croit pas. Saul s'accroche à ces sensations au point de devenir un très bon joueur, se donnant les moyens d'accéder aux grandes équipes de ligues. La glace est le seul espace où on le laisse exprimer son don de vision, sa clairvoyance pour trouver le chemin de la victoire. Sa passion du jeu est communicative et sa motivation est de la partager et de la transmettre, pour continuer à vivre cette passion qui le fait se sentir vivant.


« C'est pour cela que je m'étais abandonné au hockey. Pour m'abandonner à moi-même. Lorsque le racisme du public et des joueurs me fit changer, je devins furieux parce qu'ils m'enlevaient la seule protection que j'avais. Quand cela se produisait, je savais que ce sport ne pourrait plus m'offrir de protection. »


Malheureusement, il ne voit pas aussi clair dans sa vie. Ayant du mal à s'enraciner, la patinoire devient son « beau miroir » trouble, qu'il arpente dans l'espoir d'y apercevoir ce qui ne va pas. Et puis où tout cela mène-t-il, si le public blanc et les joueurs blancs ne voient en lui qu'un indien à (a)battre, l'insultant, le rabaissant pour leur simple et pitoyable plaisir de se sentir supérieur ? Une fois de plus, l'(im)pitoyable homme blanc lui ôte sa joie de vivre en même temps que son envie de jouer, et l'empêche de s'insérer dans une communauté où on l'a pourtant implanté de force… Que lui reste-t-il, quand on lui a tout pris ? Une énorme boule de colère au fond de l'estomac, quelque chose de lourd, de noir et d'amer qui menace de le submerger s'il ne la fait pas taire avec de l'eau de feu. Un peu, beaucoup, et jusqu'à la folie, le foie de Saul s'affole et ses amitiés s'étiolent. « Je ne pouvais pas courir le risque que quelqu'un me connaisse, parce que je ne pouvais pas courir le risque de me connaître moi-même. » Saul remplace alors son paradis blanc par un refuge de feu, celui de l'enfer qu'il vit sur cette terre. le sol glacé fond sous ses pieds, et l'homme qui se cachait derrière son reflet sur la glace ne peut plus se regarder dans le miroir. Qu'y voit-il ?


« Quand on est paumé comme je l'étais, on boit toujours pour oublier. Pour oublier les choses banales et admises comme un foyer, un boulot, une famille, des voisins. On boit pour oublier les pensées, l'émotion. L'espoir. On boit pour oublier parce que après toutes les routes qu'on a prises, c'est la seule direction qu'on connaisse par coeur. On boit pour oublier afin de ne plus entendre les voix, de ne plus voir les visages, ne plus toucher les choses, ne plus sentir. On boit pour oublier afin d'effacer ce lieu que seuls les poivrots de la pire espèce connaissent ; ce monde au fond du puit où l‘on se réfugie dans le noir, hanté à jamais par la conscience de la lumière. Je fus au fond de ce puits pendant un long moment. Revenir à la lumière du jour faisait un mal de chien. »


Etonnamment, il fallait pourtant en passer par là. C'est ce dont Saul se rend compte lorsqu'un sevrage médicalisé lui rend les idées claires. le thérapeute qui tente de le sauver qui lui fera écrire son histoire, celle qu'il vous délivre faute de savoir la raconter lors des groupes de paroles. Un récit distancié au départ, dont les contours flous semblent trop survolés pour nous atteindre réellement ; Réveil d'un mauvais rêve genre gueule de bois, révoltant notre raison mais préservant nos sentiments. Jusqu'à ce que se dessine l'origine des larmes qui explique cette sensation de flottement, fait finalement fondre aussi nos coeurs et bouillonner nos tripes. Des larmes comme les lames qui vous déchirent l'âme, la lacèrent et puis l'essorent, à bout de mots, à bout d'amour pour ce Saul solaire que l'on voudrait désormais rieur. Encore un livre qui gagne en intensité et en profondeur sur la fin, et qui fait s'interroger sur le sens de notre humanité dite « civilisée »…


« J'y retournais pour apprendre à partager la vérité que j'avais découverte, hermétiquement enfouie au fin fond de moi. J'y retournais parce que je voulais apprendre à vivre avec cette vérité, sans boire. J'y retournais parce que j'avais besoin de prendre un départ solide sur une nouvelle voie et je savais que ce serait difficile. Parfois les fantômes rôdent. Ils trainent dans les coins les plus reculés, et quand vous vous y attendez le moins, ils surgissent, chargés de tout ce qu'ils vous avaient apportés quand ils étaient vivants. Je ne voulais pas être hanté. J'avais vécu ainsi pendant bien trop longtemps déjà. »
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