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Critique de Levant


Levant
27 septembre 2021
Insignifiant. Il est insignifiant ce petit tailleur juif de Galicie. Et pourtant il a connu plusieurs vies, tant son parcours sur terre lui a donné d'occasions de côtoyer la mort. Il a raconté ses souvenirs à Ange Wagenstein, lui imposant la seule condition de ne rien publier de son vivant. Ne voulant sans doute affronter ni contradiction ni apitoiement. Ni commentaire non plus sur la forme qu'il donne à ses souvenirs : « Peut-on arrêter un Juif quand il a décidé de raconter une blague ? »

Le Pentateuque ou les cinq livres d'Isaac, nous confirme que l'humour peut être une arme redoutable, propre à tirer le tapis sous les pieds des va-t'en guerre de tout poil. Les cinq livres d'Isaac correspondent à cinq phases de la vie de ce dernier, lesquelles ont été riches en péripéties dont certaines prennent tournure de tragédie en ces temps troublés, puisque couvrant les deux guerres mondiales. C'est résolument le style adopté qui distingue cet ouvrage de ce qu'on peut lire habituellement sur le sujet. Il est en effet rarement abordé sous le ton de la dérision au point de glisser çà et là dans le corps de l'ouvrage des blagues, au demeurant toujours pertinentes mais n'écartant pas pour autant l'attention du lecteur de la gravité des faits relatés. Bien au contraire.

Ces cinq phases de la vie d'Isaac ont correspondu pour lui à cinq changements de nationalité tout en restant en Galicie orientale. Ce sont les frontières qui ont bougé autour de lui. Les vicissitudes de l'histoire ont fait que cette région de l'Europe centrale s'est vue disputée par tour à tour par l'Autriche-Hongrie, la Pologne, l'URSS, et l'Allemagne. Au mépris bien entendu de ses habitants, toutes confessions confondues, en particulier de la population juive. Ce qui fait imaginer à Isaac en son for intérieur que sa patrie la plus fidèle reste sa religion. Elle l'a accompagné fidèlement, tout au long « de cette vie merdique, absurde et inhumaine » jusqu'au camp de concentration puis contre toute attente et toute logique au fin fond de la Sibérie lorsqu'une de ses vies lui fera connaître le goulag. Même si la foi souveraine qui préside à sa vie chancelle quelque peu dans son coeur au point de faire inscrire en incipit à l'auteur de cet ouvrage : « Si la demeure de Dieu possédait des fenêtres, il y aurait beau temps que ses carreaux seraient brisés. »

Dans les vies d'Isaac, il en est une sixième qui les coiffe du halo de l'amour. Amour qu'Isaac porte à Sarah, son épouse, et à ses trois enfants. Autant de lumières de vie qui s'éteindront dans les camps ou sur les champs de bataille puisqu'aucun de ces êtres aimés ne reviendra combler ses vieux jours de sa présence aimante.

« Punition divine ou secrète caresse », c'est un membre du peuple élu qui s'interroge. Laissant entendre que cette élection lui semble loin d'être une aubaine. Il suffit de scruter l'histoire pour s'en convaincre. Mais là encore c'est la dérision qui l'emporte même dans les moments les plus noirs. le ton reste résolument celui de l'humour. Subtile, caustique, sophistiqué, efficace. Terriblement efficace quand il s'agit traiter avec dédain les acteurs du Système et de redonner de la grandeur à l'être insignifiant. Vous n'aurez pas ma haine semble-t-il marteler. Vous ne me prendrez pas au piège de votre bassesse clame-t-il ainsi à ceux qui piétinent la personne humaine.

Isaac se refuse à confondre l'Idée et le Système appelé à la matérialiser, s'y substituant tout en s'en légitimant. le système naît et se nourrit de l'idée, puis s'auto alimente et sombre dans l'atrophie, la perversion. Toute idée a le droit d'être. C'est le système qui en découle qui fait son malheur. Égratignant au passage le Christianisme qui a connu ses égarements quand son système s'est exprimé par l'inquisition.

« As-tu déjà vu un Juif se taire quand il a envie de parler ? » Tutoyant son lecteur il en fait son intime, Isaac a voulu lui laisser un message de sagesse, de tolérance. de philosophie à l'épreuve du dogme. L'un et l'autre s'accordant au service de l'humble, poussière humaine balayée par le système. Sans omettre de faire connaître sa solidarité confessionnelle, par-delà les siècles, clamant que la vraie grandeur exige un esprit libre dans ses pensées, ses choix, y accordant ses actes tant qu'ils respectent l'autre. le pentateuque ou les cinq vies d'Isaac est le livre de l'apaisement à défaut d'être celui du pardon. Son style en fait un ouvrage savoureux pour une potion amère.

Je remercie Babelio et les éditions Autrement de m'avoir gratifié de cet ouvrage.
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