Prisons

Je suis d'abord un esprit et un récit, un esprit qui peut être aussi vaste que l'univers, un récit qui peut être aussi profond qu'un gisement de pétrole. Le tout c'est de lire, encore et toujours ; de comprendre, encore et toujours ; d'avancer sur le chemin du questionnement et de la connaissance, encore et toujours ; de la connaissance du monde, des autres, et, au bout du chemin, de mon moi profond.

Aussi douce d'ailleurs que cette drogue, le shit, qui s'est infiltrée dans toutes les prisons de l'Hexagone et a pris possession du système nerveux des détenus.
Une de mes sources les plus fiables m'a fait comprendre que, par sa capacité à anesthésier l'esprit de révolte, cette drogue évolue dans une sorte de zone grise du système carcéral : la zone de l'interdit-toléré. Elle se situe entre l'interdit-réprimé et l'autorisé-accepté. Si un détenu se fait surprendre en possession d'un bout de shit, il se verra sévèrement réprimé et sa place au mitard lui sera indiquée à l'issue d'un procès expéditif.
Mais à la nuit tombée, l'odeur de la marijuana-qui-se-consume envahit les couloirs de l'univers carcéral et ne peut manquer d'atteindre les narines des surveillants en poste. Le pragmatisme a ses raisons que la loi a tendance à ignorer ; fermer les yeux et laisser un rempart à la détresse s'installer derrière les barreaux, telle est la politique carcérale.

- Mais un conseil : fais bélek, parce qu'ici, on est tous antisionistes.
- Antisémites, tu veux dire ?
- Rien à voir ! D'ailleurs, y'a plein de Juifs antisionistes. Toi qui lis des livres, tu devrais l'savoir.
- Ouais, comme il y avait plein d'esclaves, les fameux nègres de maison, qui étaient pour le maintien de l'esclavage. Pour moi, Israël, c'est l'excuse parfaite des antisémites, tout comme la mini-jupe est celle des violeurs.

Ah les hommes, toujours la même histoire, d'Alexandre le Grand à Jacques Mesrine, d'Hannibal a Gengis Khan, la violence garantit le respect. Ah mes chers porteurs du chromosome Y, pauvres de vous !
Heureusement que nous, les femmes, nous sommes là pour maintenir la vie en vie, à l'abri de ce si sanguinaire, de ce si aveuglant orgueil masculin.
Existe-t-il plus grande prison que l'orgueil masculin ?

Cet après-midi, pendant que des millions de Français au casier judiciaire vierge et au pouvoir d'achat moyen s'entassent pour faire bronzette sur les plages publiques de l'hexagone ; pendant que des millions d'autres Français au pouvoir d'achat tétraplégique rongent leur frustration de ne pouvoir profiter de cette activité estivale et envahissent les piscines municipales, à l'instar des hordes de Huns, les cornets de glace en guise de glaives [...]

Mais il est un produit, prisé entre tous, qui, ici plus qu'ailleurs, fait la pluie et le beau temps sur le visage des détenus : la cigarette. On peut dire, sans exagérer, qu'en prison, ce produit représente le nerf de la paix.

[...] le monde est divisé en deux catégories, ceux qui ont le pistolet de leur volonté chargé, et ceux qui creusent leur jalousie.

Et, au sein des sociétés développées, le récit de l'échec de la vie trouve souvent sa première lettre, sa première ligne, son premier chapitre dans l'échec scolaire.
C'est un constat en forme de loi d'airain. Un enfant qui ne va pas aujourd'hui à l'école ira demain en prison.
Victor Hugo, mon vibrant Victor, a laissé à la postérité quelques mots exprimant cette tragique évidence : "Fermer une école, c'est ouvrir une prison." Ceux qui ont coutume de saupoudrer leurs conversations d'humour noir disent que Fleury-Mérogis est devenu le plus grand lycée d'Europe.

D'autres prisonniers composent avec lui ce cortège, butin carcéral du jour. Ce soir, la société dormira délestée de délinquants.

Nous y voilà. A Fleury-Mérogis. S'ouvrent les portes de la plus vaste des maisons d'arrêt que compte l'espace européen.