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Critique de Cancie


Quelque peu surprise et déstabilisée par la forme en débutant ce roman, j'ai ensuite été rapidement conquise par la beauté et la poésie de la plume d'Antoine Wauters. J'ai même été saisie par la rapidité avec laquelle je me suis immergée dans ce long poème en vers libres qui décrit le chaos syrien.
Mahmoud, un vieil homme rame à bord d'une barque en bois de pin, seul endroit où il est bien, plonge au fond du lac El-Assad, plongeant ainsi dans ses souvenirs et redonnant vie à ceux qu'il a aimés et perdus.
Essayant d'oublier la guerre qui gronde et l'a anéanti tout comme sa femme Sarah et leurs garçons Salim et Brahim et leur fille Nazafé, pour ne pas se noyer dans un océan de chagrin, muni de son masque et de son tuba, il plonge et s'immerge dans ses souvenirs et c'est sa vie entière qu'il revoit en s'adressant à sa chère épouse à qui il rend un vibrant hommage, l'écriture se révélant salutaire pour fuir la réalité.
Il se remémore ce quotidien simple, naturel empli de petits bonheurs auprès de ses parents, comment il a connu Leila, son premier amour à l'école Baïbba où il enseignait la grammaire avant que sa maison d'enfance comme celle de 11 000 autres familles ne soit engloutie par le gigantesque barrage que fit construire en 1973 le chef d'État syrien Hafez El-Assad. Sans nullement oublier la réalité historique et politique de son pays, qui l'a malheureusement frappé de plein fouet, ce long poème dans lequel reprennent vie également ses enfants tout jeunes fait office d'arme pour le vieil homme, pour tenir à l'écart notamment ses trois années de prison de 87 à 90, où il a subi tortures morales et physiques, mais aussi la répression brutale opérée par le régime lors du Printemps arabe entraînant une guerre civile et toutes les horreurs perpétrées par les hommes de main de Bachar el-Assad, ce timide ophtalmologue devenu un monstre peu après son accession à la présidence de la République.
Ce court opuscule de seulement 130 pages balaie l'histoire de la Syrie depuis la construction du barrage de Tabqa en 1973. Il pourrait être une immersion dans les ténèbres et dans le sang.
Antoine Wauters en allant puiser dans la mémoire de Mahmoud, dans ses souvenirs, ses pensées et ses rêves une forme de résistance à la terrible réalité, en a fait une élégie, un véritable petit bijou !
Je suis ressortie de ma lecture subjuguée par la beauté, la douceur, la tendresse, la délicatesse exprimées dans ce long soliloque et la grande mélancolie qui s'en dégage.
Baignant dans cette splendide écriture, je n'en ai pas moins appris beaucoup sur la Syrie, à commencer par la construction insensée de ce barrage sur l'Euphrate, qui, outre avoir submergé de nombreux villages, a noyé des millénaires d'histoire, même si de nombreuses missions de tous pays sont venues fouiller et en exhumer des vestiges. La région est, en effet, située dans le fameux « croissant fertile », là où les premières formes d'agriculture et d'écriture ont vu le jour, là où sont apparues les premières villes, comme Antoine Wauters l'explique en appendice, dans quelques notes fort instructives et intéressantes.
Des combats ont eu lieu pour le contrôle de ce barrage qui a un intérêt stratégique.
« le barrage fait l'objet d'une lutte incessante.
D'un côté, des fous qui veulent notre engloutissement.
De l'autre, des soldats des Forces démocratiques et de la coalition, qui filent entre les balles afin de colmater les brèches.
Les premiers hurlent, brandissent des drapeaux noirs.
Les autres se cachent et s'aplatissent dans la poussière. »
Et le niveau d'eau ne cesse donc de monter…
Avec Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters, cet écrivain et poète belge s'est remarquablement glissé dans la peau d'un vieux poète syrien offrant au lecteur un texte splendide, riche et dense, un véritable coup de coeur en ce qui me concerne !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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