AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Olti


Olti
02 février 2018
Bon... eh bien c'est parti ! En bref "meh."

J'ai beaucoup de mal à situer cette lecture entre "j'ai pas aimé" et "j'ai aimé mais...". Sincèrement, j'ai ri plusieurs fois, et apprécié nombreuses choses dans l'histoire... et à côté de ça, plus ça avançait et plus je la trouvais un peu dérangeante.

Je pensais que ce serait le format épistolaire qui me dérangerait, mais en fait pas du tout (à part pour la fin où je me pose quand même quelques questions et pour laquelle un narrateur omniscient aurait été le bienvenu pour moi).

J'ai apprécié le côté instructif et historique du récit dans la mesure où l'on suit le parcours de Judy et sa vie dans son université (de luxe) au tout début du 20e siècle.

J'ai apprécié le style et le ton de Judy. Plusieurs fois ses phrases me faisaient rire. Mais plus ça avançait et plus je me demandais si c'était un humour volontaire ou involontaire de sa part.
Les premières lettres m'ont l'air pleines de second degré mais plus ça avance, et plus ce qui fait rire a plutôt l'air d'être sa naïveté, son ignorance des codes sociaux ou de la culture commune des classes sociales élevées, et son émerveillement très enfantin sur tout et tout le monde. Et son jugement du même acabits.

D'un côté, j'avais envie d'aimer Judy pour ce que l'auteur essaye de nous dire d'elle :
elle est vive, spirituelle, pleine d'imagination, originale, spontanée, un peu rebelle presque... elle porte un regard critique sur les choses de son monde (la religion, la politique, les classes sociales huppées), elle demande le droit de vote, cherche sa place en politique, critique un peu le monde (elle est "socialiste")... bref, c'est moderne pour l'époque. Cela fait forcément un peu penser à Jo March aussi, le côté rebelle face à la société, ses codes, et son traitement de la femme...

... et parallèlement, les 3/4 de ces observations perdent de leur force et de leur pertinence quand on se dit que c'est peut-être juste du 1er degré enfantin. Une nana qui s'étonne et s'émerveille mais sans plus que ça. "Oh ce serait chouette si j'avais le droit de vote, hein papa ?!" "Est-ce que les femmes sont vraiment des citoyennes ? Je chais pas. Oh et j'ai acheté un nouveau chapeau au fait !"

Ses remarques un peu osées sont tellement mêlées à une forme de candeur naïve, de "par dessus la (longue) jambe (de daddy)" (ok cette blague est nulle) que j'ai trouvé que ça en annulait leur teneur. C'est très... gentillet.

J'ai un petit peu de mal aussi à croire en la réalité de Judy (et en sa naïveté), comme en toutes ses nouvelles et romans ratés où elle n'écrit que sur ce qu'elle ne connaît pas et exagère tout (c'est vraiment le 1er réflexe des écrivains ? J'aurais cru que non mais peut-être). Avec ses lettres, elle est tellement à l'aise, son style naturel est très fin et subtile (si c'est bien du 2nd degré), que j'imaginais mal ses écrits ampoulés et vides.

Ensuite : je sais bien que c'est l'ère edwardienne, époque puritaine un peu, tout ça... mais l'absence totale d'hormones et de sexualité m'a aussi rendu l'histoire peu crédible (et un peu cucul).

On est à une époque où l'adolescence, telle qu'on l'imagine aujourd'hui, n'existe pas. Certes. mais quand même... elle a 18-19 ans elle passe l'après-midi avec Monsieur-trop-beau-gosse, elle n'a pas vraiment "l'expérience des hommes" et... "c'était trop drôle, on a couru, on a bu du thé hihi ! We had the jolliest time!" ... (- -)' Seriously, girl?? O_o

Elle joue à la ferme, elle attrape des oeufs, elle tombe et se fait bobo aux genou, elle fait des taches de fudge sur le tapis, oh lala hihi... oooh et les belles robes, elle trouve ça frivole mais quand même, elle trouve ça tellement bien tout ça.

Bon, bien sûr sa personnalité coquette aussi est un peu agaçante mais pour une période où on matraque aux femmes que leur apparence est essentielle (remarquez, ça n'a pas changé tant que ça), je peux comprendre le poids de l'éducation sociale qui la rend "frivole". Mais c'est un peu triste qu'au début du roman, elle s'achète énormément de livres et d'objets pratiques, et qu'ensuite elle s'intéresse surtout aux chapeaux et belles toilettes.

Toute sa "fraîcheur", sa spontanéité, et sa naïveté qui effectivement donnent une lecture agréable... ça m'a aussi et SURTOUT donné l'impression de bien plus suivre le quotidien d'une jeune ado, que d'une FEMME de 18, 19, 20, et 21 ans.

Vous allez me dire "certes mais c'est le tout début du 20e siècle, on élève les jeunes filles dans une bulle"... d'accord mais... et Lizzy Bennet 120 ans avant ? Vous trouvez qu'elle a l'air d'une petite fille candide et immature ?
Et la sexualité, même si non nommée, était clairement présente et sous-entendue dans Pride&Prejudice. Il y a une tension autour (pour Lydia lorsqu'elle s'enfuit et vit à Londres hors mariage, c'est ça que ça veut dire, pour la présence des officiers qui "échauffe" ces dames...). Je ne suis pas choquée que la sexualité ne soit pas directement mentionnée dans ce récit, mais qu'elle soit totalement effacée, alors qu'on est dans une université qui réunit 400 jeunes filles tout juste sorties de l'adolescence...

Judy lit tout de même énormément de livres, elle doit bien savoir que le sexe ça existe, et que l'avenir d'une femme "de la haute" est généralement de faire un mariage arrangé et de voir son mari avec une (ou des) maîtresse(s) ou qui va au bordel. Elle ne se pose pas de questions quand elle est courtisée par un gars riche, genre "oui euh, et la fidélité, vous êtes ok ou bien ?" ? Non. On croirait qu'elle vit dans un conte, dans sa tête, déconnectée du monde.
Certes elle était à l'orphelinat enfant, et ensuite à l'abri dans son université, mais tout de même... elle n'a pas même d'hormones un petit peu qui la travaillent ? le désir, l'attirance physique, ça n'existe pas pas pour elle ?

Avec tout ça, on arrive au point vraiment dérangeant pour moi. Donc, très bien, mettons que Judy est vierge et pure et candide et naïve et que donc, elle n'est pas une femme mais plutôt une petite fille.

Elle correspond avec un homme qu'elle va appeler "Daddy" (pour certes, le petit nom anglais des araignées faucheuses, daddy-long-legs, mais tout de même...) , qui a 14 ans de plus qu'elle, et qui est donné comme un chouilla misogyne (il ne scolarise QUE des garçons normalement, Judy est la 1ère fille qu'il aide car normalement il ne s'en préoccupe pas blablabla... bon j'imagine que c'est censé rendre Judy plus exceptionnelle, mais ça rend le bienfaiteur surtout moins sympathique).

Homme qui va se plaindre qu'elle n'est pas assez "GENTILLE ET DOCILE" car elle essaye de gagner un peu d'indépendance, qui va d'ailleurs plusieurs fois essayer (et parfois réussir) à l'empêcher de fréquenter d'autres hommes ou à faire différemment de ce qu'il lui dit de faire, et que oui, à la fin elle va épouser car, ouf, elle l'aime.

Tout l'aspect "born sexy yesterday" (la jeune naïve qu'un homme plus sage et expérimenté va regarder évoluer et former... pour la garder pour lui à la fin) et un peu pygmalion de Judy, "paternalisée" par l'homme qui l'épouse à la fin, m'a vraiment, vraiment dérangée, d'autant plus qu'elle fait vraiment enfant, petite fille, et non femme (elle décore ses lettres de pitits dessins pour montrer à Daddy son quotidien...)

Oui elle a une chouette personnalité, de l'imagination, de l'effronterie, bref, elle dénote des héroïnes classiques d'un monde patriarcal du 19-20e, bien sûr, je ne peux pas le nier ! Mais dans le même temps... elle finit bien mariée, avec son "papa" (... ... ...) et elle n'est qu'une autre figure clichée. La femme-enfant qui est certes impertinente MAIS parce que c'est une enfant, donc elle peut jouer avec les limites (on insiste énormément sur son imagination, sa principale qualité, trait traditionnellement prêté aux enfants).
Et l'homme qu'elle épouse attend d'elle certes sa jolie petite imagination (elle le fait tellement "rire") et sa jolie petite bouille, mais qu'elle soit aussi gentille et soumise.

J'ai trouvé dérangeant aussi que jamais le bienfaiteur ne corresponde, en tant que tel, avec Judy. Il crée un détachement genre "je te mécène mais c'est tout" tout en se mêlant de sa vie privée et intime "tu vas te comporter comme ci et pas comme ça, et fréquenter tel homme et pas tel autre..." erk, creepy.

Quant à la relation Judy-Jervie (aka daddy long legs aka la face visible de la lune. HAHAHA, hum pardon) eh bien, oui, on voit qu'ils s'entendent bien et passent de "jolis moments joyeux" ensembles mais on n'a pas l'impression qu'ils se fréquentent tant que ça avant le mariage.

Enfin c'est assez déséquilibré, lui a les longues et fréquentes lettres de Judy... mais elle ? Finalement elle le connaît assez peu et en dehors du frère de son amie Sally, c'est le seul autre homme qu'elle connaît. Et d'ailleurs le fait qu'ils ne se voient pas plus souvent et ne correspondent que sur le tard (et qu'elle d'ailleurs garde une distance avec Jervie, ne lui disant pas d'où elle vient) ne tend pas à donner une base très saine pour un "youpi, demain, on se marie".

Judy est éduquée pour devenir une autrice... elle finie mariée et on ne saura jamais si elle sera écrivaine, parce que c'est moins important que le fait qu'elle soit mariée. Yuck.

Bref, un récit qui a un côté très sympa mélangé à un côté très malaisant pour moi, ce sera un meh. Je comprends complètement qu'on aime, et je reconnais tout à fait des qualités à ce récit, je regrette juste la société dans laquelle il baigne (et j'ai un peu eu le même ressenti pour d'autres récits de la période victorienne).
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}