Un livre ne me suffit pas. J'en lis quatre à la fois.
J’attends maintenant le soir avec impatience. Je place un panneau sur ma porte “ne pas déranger”, j’enfile mon joli peignoir rouge et mes pantoufles fourrées, je me cale confortablement contre les coussins empilés dans mon dos et, à la lumière de la lampe de cuivre placée à mon chevet, je lis, je lis, je lis. Un livre ne me suffit pas. J’en lis quatre à la fois. Ainsi en ce moment, il y a près de moi les poèmes de Tennyson, La Foire aux vanités, les Simples Contes des Collines de Kipling, et – ne souriez pas – Les Quatre Filles du docteur March. Je me suis rendu compte à l’université que j’étais la seule à ne pas avoir grandi avec ce livre. Mais je n’en ai dit mot à personne (on dirait sans doute que je suis “bizarre”). Je suis tout simplement allée l’acheter en prenant 1 dollar 12 sur ma pension du mois dernier : la prochaine fois que quelqu’un fera allusion aux citrons macérés dans du vinaigre, je saurai de quoi il s’agit !
Autrefois, quand j'apprenais à lire, je m'étais inventé un jeu merveilleux que j'ai gardé jusqu'à maintenant. Chaque nuit, je m'endors en me racontant que je suis le personnage (principal, bien sûr) du livre que je suis en train de lire.
C'est drôle comme certains lieux restent associés dans notre mémoire à certaines gens et vous ne pouvez y retourner sans penser à eux.
Il y a des tas de livres que les filles qui ont une famille, des amis et une bibliothèque connaissent et dont je n’ai jamais entendu parler. Ainsi, je n’avais encore jamais lu Ma mère l’Oye, David Copperfield, Ivanhoe, Cendrillon, Barbe-Bleue, Robinson Crusoé, Jane Eyre, Alice au pays des merveilles, ni une ligne de Rudyard Kipling. J’ignorais qu’Henri VIII s’était marié plusieurs fois et que Shelley était un poète. J’ignorais que les hommes descendent du singe et que le Jardin d’Eden n’est qu’un mythe merveilleux. J’ignorais que les initiales RLS désignent Robert Louis Stevenson ou encore que George Eliot était une femme. Je n’avais jamais vu de reproduction de La Joconde et (vous aurez peine à le croire) je n’avais jamais entendu parler de Sherlock Holmes.
Je suis seule, vraiment seule, le dos au mur pour affronter le monde et je suffoque rien que d’y penser.
Sa mère est une Rutherford. Sa famille remonte au déluge et était apparentée, d'une façon ou d'une autre, à Henri VIII. Du côté de son père, ses ancêtres remontent plus loin qu'Adam et Eve. Sur une des branches supérieures de leur arbre génealogique, on peut remarquer une race tout à fait privilégiée de singes à poil soyeux, dotés d'une queue particulièrement longue.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que vous avons procédé à des nouvelles explorations dans le champ de la géométrie. Vendredi dernier, nous avons abandonné nos premiers travaux sur les parallélépipèdes pour poursuivre avec les prismes tronqués. Le chemin est long et escarpé.
Vous savez, papa, je crois que la qualité qui nous est la plus nécessaire, c'est l'imagination. Elle seule permet de se mettre à la place des autres. Elle seule rend les gens aimables, ouverts et compréhensifs. C'est la qualité qu'il faut développer chez les enfants. Mais le foyer John Grier étouffait instantanément dès son apparition la moindre lueur d'imagination. La seule qualité que l'on encourageait était le sens du devoir. Or je ne crois pas que c'est un mot dont on devrait enseigner le sens aux enfants. C'est un terme odieux, haïssable. On ne devrait rien faire que par amour.
P.-S. Il pleut des hallebardes, ce soir. Justement, il y en a une
qui vient de se ficher sur le rebord de ma fenêtre.