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Critique de Unvola


Dans ce passionnant ouvrage, l'historien du Communisme (Bolchevisme), Nicolas Werth, décortique la monstrueuse machine exterminatrice que fut l'effroyable : Grande Terreur ou « Iejovschina » (du nom de Nikolaï Iejov, Commissaire du peuple à l'Intérieur et chef de la Police Politique Soviétique : le N.K.V.D.). En effet, il s'agit du plus grand massacre perpétré par un Etat contre SON PROPRE PEUPLE, en Europe, en temps de paix, au 20ème siècle !
Depuis l'effondrement de U.R.S.S. en 1991, Nicolas Werth a pu consulter un nombre incalculable d'Archives qui viennent compléter les témoignages et éclairer le déroulement et l'analyse de la Grande Terreur. Pour appuyer son argumentation, l'auteur utilise une partie des ces exceptionnelles et fondamentales Archives.
Notamment, ces Archives permettent de démystifier le « Rapport secret » de Khrouchtchev lors du XXème Congrès du Parti Communiste, en 1956. En effet, après la mort de Staline, le 5 mars 1953, les hauts dirigeants du Parti Communiste ont odieusement voulu tenter de se dédouaner de leur totale implication dans la Grande Terreur (nous le verrons plus loin…), en rejetant toute la responsabilité sur le dos de Staline : la « Déstanilisation », en minimisant la Grande Terreur, en la réduisant à une « simple Purge » à l'intérieur du Parti. Or, les Archives démontrent parfaitement bien que la « Purge » des cadres du Parti Communiste ne représenta, en réalité, qu'une infime partie : 7 % de l'ensemble des arrestations et des exécutions de la Grande Terreur, soit 117 000 membres du Parti arrêtés par le N.K.V.D., 44 000 responsables et cadres Communistes condamnés, dont 85 % à la peine de mort. L'instruction et l'exécution de la sentence de ces « Purges » des élites Communistes s'effectuaient dans un circuit « judiciaire » différent de celui des « opérations de masse » visant les citoyens ordinaires.
De surcroît, les Archives permettent de mettre également en évidence que la Grande Terreur ne fut pas la conséquence de l'assassinat de Sergueï Kirov (contrairement à la thèse développée, entre autres, par Robert Conquest : « La Grande Terreur »), mais qu'en réalité elle fut la continuation et l'aboutissement dans cette impitoyable décennie de 1930, d'un processus d'immenses répressions dans le cadre de la politique du Totalitarisme Communiste Stalinien, dont voici en résumé, le déroulement (pages 48, 49, 50 et 51) :
En 1930-1933, près d'un million de foyers paysans furent expropriés, des centaines de milliers de personnes arrêtées, près de 2,5 millions d'hommes, femmes et enfants déportés, dans le cadre d'une vaste campagne politique lancée, fin 1929, sous le mot d'ordre de « liquidation des koulaks en tant que classe ». Cette campagne avait un double objectif : « extraire », tel était le terme employé dans les instructions confidentielles, les éléments susceptibles d'opposer une résistance à la collectivisation forcée des campagnes et « coloniser » les vastes espaces inhospitaliers de la Sibérie, du Grand Nord, de l'Oural et du Kazakhstan. le premier objectif répondait à la vision, clairement exprimée par les bolcheviks dès leur arrivée au pouvoir, selon laquelle la société paysanne, traversée d'antagonismes de classe, recélait des « éléments exploiteurs » – les « koulaks » – irrémédiablement hostiles au régime et qu'il fallait éliminer. le second objectif s'inscrivait, au moment même où était lancé le Premier Plan quinquennal, dans une vaste entreprise de mise en valeur, par une main-d'oeuvre pénale ou déportée, d'un certain nombre de régions vides d'hommes, mais riches en ressources naturelles. Ces objectifs s'appuyaient sur la conviction que le nouvel Etat, parce qu'il était fondé sur la connaissance scientifique et la maîtrise des lois du développement historique des sociétés, était en mesure de modeler celles-ci, d'en exciser les éléments hostiles, parasites ou nuisibles « polluant » la nouvelle société » socialiste en train de s'édifier. (…) Au moment du lancement de la campagne de « liquidation des koulaks en tant que classe », la plus haute instance du Parti, le Politburo, fixa des « quotas de dékoulakisation en 1re et 2e catégorie » (note n° 2 : Directive n°44-21 du 30 janvier 1930, signée de Genrikh Iagoda) – au nombre initialement programmé de 60 000, les « koulaks de 1re catégorie » définie comme des « activistes engagés dans des actions contre-révolutionnaires » devaient être arrêtés et transférés en camp, après un « passage rapide devant une troïka », juridiction d'exception de la police politique. Quant aux « koulaks de 2e catégorie » – 129 000 à 154 000 familles – définis comme les « paysans les plus riches, mais moins activement engagés dans des activités contre-révolutionnaires », ils devaient être arrêtés et déportés, avec leur famille, dans les régions éloignées du pays (note n° 3 : La commission spéciale du Politburo chargée de la « dékoulakisation », sous la présidence de Viatcheslav Molotov, définit dans le cours des évènements une 3e catégorie de « koulaks ». Qualifiés de « loyaux envers le régime », ces « koulaks » devaient être expropriés, puis réinstallés aux marges des districts ou des provinces où ils résidaient, « hors des zones collectivisées, sur des terres nécessitant une mise en valeur »). En fait, le terme de « koulak », paysan « riche », n'était guère plus qu'une étiquette, qui permettait aux « brigades » et autres « commissions de dékoulakisation » de se débarrasser de tous les éléments socialement ou politiquement suspects, ex-propriétaires fonciers, serviteurs du culte, commerçants, voire anciens membres du parti socialiste-révolutionnaire, encore nombreux dans certaines régions.
(…) Les deux premières années (1930-1931), la désorganisation la plus complète, l'absence totale de coordination entre les opérations de déportation menées par l'OGPU et l'installation des déportés, du ressort d'autorités locales débordées, transformèrent la « dékoulakisation » en une déportation-abandon sans précédent. Après des semaines de voyage dans des wagons à bestiaux, des centaines de milliers de déportés furent abandonnés à leur sort, regroupés dans des baraquements de fortune le long des voies de chemins de fer, sans ravitaillement régulier, ni travail, voire débarqués au milieu de la steppe ou de la taïga, sans que la moindre infrastructure d'accueil ait été mise en place. Épidémies et disettes décimèrent les déportés, en premier lieu les enfants et les personnes âgées. En deux ans, 500 000 personnes moururent ou parvinrent à s'enfuir des lieux où elles avaient été déportées. »
Après ces terribles déportations du début de la décennie de 1930, Staline organisa le Génocide que l'on nomme aujourd'hui : le Holodomor, c'est-à-dire la gigantesque Famine Ukrainienne de 1932-1933, faisant 6 000 000 de morts.
Pour revenir à notre sujet : la Grande Terreur, elle se déroula de concert avec les centaines de Procès politiques publics truqués qui eurent lieu à cette époque à travers toute l'U.R.S.S., et notamment, les trois grands Procès de Moscou (confer l'ouvrage de Nicolas Werth : « Les Procès de Moscou »), entre 1936 et 1938, concernant l' »ancienne garde bolchevique (communiste) » de l'époque de Lénine : Trotski, Kamenev, Zinoviev, Boukharine, etc.. Voici un récapitulatif des parodies de Justice concernant les Procès politiques publics provinciaux (page 40, note n° 3) :
Comme l'atteste un rapport envoyé, le 19 décembre 1937, par le procureur général de l'URSS, Andrei Vychinskii, à Staline, en trois mois (10 septembre-10 décembre 1937), 626 procès publics avaient été tenus : 181 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans l'élevage » et 445 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans le stockage des céréales ». Au total, 5 612 personnes avaient été condamnées, dont 1 955 à la peine capitale (…) ».
Les deux grands organisateurs de la Grande Terreur furent Staline et Iejov. Leur objectif était de « purifier » la société Soviétique, en éliminant les « gens du passé » susceptibles de nuire à la « nouvelle société en cours d'édification » et donc considérés comme : « socialement nuisibles » et « ethniquement suspects ». Malheureusement, ces deux terminologies se transformèrent concrètement (comme nous le verrons dans le déroulement de ce commentaire), en une gigantesque réalité macabre…
Le but de ce commentaire est de dérouler le processus de cette Grande Terreur conduisant à ce terrible bilan humain.
Les « éléments socialement nuisibles » étaient ciblés par l'ordre opérationnel n° 00447 nommé : « Opération koulak » ou « ligne koulak » ; et les éléments « ethniquement suspects » étaient déterminés par un ordre opérationnel nommé : « Opération nationale » ou « ligne nationale ». Puis chaque ordre opérationnel distinguait deux catégories d'ennemis à « traiter » : la première catégorie était la « 1re catégorie », les individus à fusiller ; et la seconde était la « 2e catégorie », à savoir les personnes condamnées à passer 10 ans dans les camps de concentration et de travaux forcés du Goulag. La Grande Terreur débuta donc le 2 juillet 1937 par « l'Opération koulak », et c'est Staline en personne qui déclencha cette gigantesque Opération de persécution et d'extermination de masse (page 75) :
« Au nom du Comité central, Staline adressa ce jour-là la directive secrète suivante à tous les dirigeants régionaux et républicains du Parti :
« Il est remarqué qu'une grande partie des ex-koulaks et criminels, exilés dans les régions du Nord et de la Sibérie, et rentrés par la suite, à l'issue de leur peine, chez eux, sont les principaux instigateurs des crimes antisoviétiques aussi bien dans les kolkhozes, les sovkhozes que dans les transports et certaines branches de l'industrie.
« le Comité central propose à tous les secrétaires régionaux et républicains du Parti, ainsi qu'à tous les responsables régionaux NKVD de ficher tous les koulaks et criminels retournés chez eux afin que les plus hostiles d'entre eux puissent être immédiatement arrêtés et fusillés à l'issue d'une procédure administrative simplifiée devant une troïka, les autres moins actifs, mais néanmoins hostiles, étant exilés dans des régions éloignées du pays sur ordre du NKVD.
« le Comité central vous invite, dans un délai de cinq jours, à lui proposer la composition des troïki, le nombre d'éléments à fusiller ainsi que le nombre d'éléments à exiler. »
« le Secrétaire du Comité central, J. Staline. »
Voici comment étaient classifiés les « ennemis du peuple » (page 20) :
« (…) la « ligne koulak » (…) visait à « éliminer une fois pour toutes », un large éventail d'ennemis que l'on pourrait qualifier de « traditionnels » pour le régime bolchevique : les « ex-koulaks », les « gens du passé », élites de l'Ancien Régime, membres du clergé, anciens membres de partis politiques non bolcheviques, ainsi qu'une vaste cohorte de marginaux sociaux regroupés sous le terme générique « d'éléments socialement nuisibles ». La seconde « ligne », dite « nationale », définie par une douzaine d'opérations secrètes – « opération polonaise », « opération allemande », « opération de Harbin » (note n° 1 : du nom de cette ville de Mandchourie qui avait abrité une importante colonie « d'expatriés » de nationalité soviétique, travaillant comme employés et cheminots de la Compagnies des chemins de fer de Chine orientale. jusqu'en 1935, cette compagnie était gérée par les Soviétiques. Après la vente de cette compagnie au Japon, la plupart des cheminots et employés revinrent en URSS. Pour les autorités, ils représentaient un vivier idéal « d'espions et de diversionnistes à la solde des services secrets japonais »), « opération lettone », « opération finlandaise », « opération grecque », « opération estonienne », « opération roumaine », etc. – était dirigée tout particulièrement contre les émigrés notamment politiques, mais pas exclusivement, de ces pays réfugiés en URSS, les citoyens soviétiques d'origine polonaise, allemande, lettone, finlandaise, grecque mais aussi tous les citoyens soviétiques qui avaient un lien, aussi ténu fût-il, professionnel, familial, ou tout simplement géographique (les habitants des régions frontalières étaient de ce fait particulièrement vulnérables) avec un certain nombre de pays identifiés comme hostiles, Pologne, Allemagne, pays baltes, Finlande, Japon. »
Des « conférences opérationnelles » furent organisées pour décrire le processus opérationnel de la Grande Terreur dans toute l'U.R.S.S.. Voici le discours de Mironov, particulièrement révélateur et explicite, quant aux modalités concrètes de l'application de la Terreur (pages 86, 87 et 88) :
« Dans la seconde quinzaine de juillet 1937, se tinrent, aux sièges régionaux du NKVD, des « conférences opérationnelles » rassemblant les responsables de district chargés de mettre en oeuvre « l'Opération koulak ». Voici en quels termes Mironov, le chef du NKVD de la région de Sibérie occidentale, de retour de Moscou, expliqua à ses subordonnés le sens et les modalités de l'opération :
« Jusqu'à ce qu'on ait terminé cette opération, sachez que celle-ci est absolument secrète, un secret d'État. Quand je vous présenterai le Plan attribué à notre région, les chiffres que vous entendrez, vous devrez les faire disparaître de votre tête. Ceux qui ne parviendront pas à extirper ces chiffres de leur tête, ils devront se faire violence et les chasser d'une manière ou d'une autre, car la moindre diffusion de ces chiffres, la moindre mention de ces chiffres, vous conduirait sur-le-champ devant un tribunal militaire (…)
« L'opération commencera par la 1re catégorie. Vous enverrez à la troïka le dossier déjà prêt avec la résolution et quelques extraits. Les listes des éléments arrêtés, vous ne les montrerez au Procureur qu'après la fin de l'opération et vous ne mentionnerez jamais la catégorie (1re ou 2e) attribuée. Vous vous bornerez à indiquer : koulak, criminel, autre, article du Code pénal, date de l'arrestation. C'est tout ce que vous enverrez au procureur. Les délais de garde à vue dans les cellules d'incarcération provisoire n'ont plus de limite. Vous pouvez garder les individus arrêtés dans les cellules d'incarcération provisoire deux mois si vous le souhaitez. Inutile de préparer de nombreux comptes rendus d'interrogatoire. Au grand maximum, deux-trois par individu. Si l'individu arrêté a avoué, un seul compte rendu suffit. Inutile d'organiser des confrontations, convoquez deux-trois témoins, inutile de les confronter avec l'accusé. Dans les affaires de groupe, vous pouvez exceptionnellement organiser des confrontations si certains ne se décident pas à avouer, et seulement dans ce cas. Les dossiers seront ficelés de manière accélérée. Mais sachez qu'après l'opération, il risque d'y avoir un contrôle d'en haut, un contrôle sérieux, aussi fait-il être très exigeant du point de vue de l'attribution de la catégorie, première ou seconde. Pourquoi faut-il être exigeant ? Nous avons deux mois et demi de travail devant nous, or, dans un mois, on peut découvrir de nouvelles affaires, de nouveaux groupes, et qu'est-ce qui risque d'arriver ? Que nous aurons tout simplement éclusé notre quota, dans un mois on risque de n'avoir plus de quota. Il est indéniable au jour d'aujourd'hui qu'avec le fichage assez superficiel que nous avons, un certain nombre d'individus fort intéressants de notre point de vue ont été classés en deuxième catégorie, alors qu'ils méritent assurément la première. Donc, en rentrant chez vous, vérifiez bien ceux que vous avez en 1re catégorie, faites des transferts qui s'imposent de la 1re à la seconde, vérifiez ceux que vous avez mis en seconde, peut-être y trouverez-vous des individus qu'on peut sans hésiter mettre en 1re.
« Notre quota en 1re catégorie est de 11 000, cela veut dire qu'au 28 juillet, vous devez avoir 11 000 individus déjà arrêtés, prêts, sous la main. Vous pouvez bien sûr en avoir 12 000, 13 000 et même 15 000, je ne vous limiterai pas. Vous pouvez même aller jusqu'à 20 000 en 1re. Ainsi, vous aurez la possibilité de faire ensuite un choix, voir ceux qui conviennent pour la 1re catégorie et ceux qu'on peut transférer en 2e. Je répète que vous pouvez avoir 20 000 arrêtés, mais il faudra alors soigneusement choisir les éléments les plus intéressants pour le 1re. D'ici dix-quinze jours, la vie, le cours des choses et des évènements apporteront des correctifs certains. Tout ce qui peut ressembler à une organisation clandestine, vous devrez vous appliquez à le déraciner, à l'extirper, à l'anéantir.
« Vous devrez exhumer les réseaux clandestins organisés, votre tâche, ce n'est pas de finir des affaires, de les classer, mais au contraire de les faire apparaître, de les dérouler jusqu'au bout, de mener l'ultime combat avec la contre-révolution organisée.
« Maintenant, quelques aspects techniques. Prenons, par exemple, le secteur de Tomsk, ou d'autres secteurs. Pour chacun d'entre eux, en moyenne, il faudra exécuter 1 000 individus et, dans certains, jusqu'à 2 000.
« Que devra faire le responsable opérationnel du secteur quand il viendra sur place ? Trouver un lieu pour les exécutions et un lieu pour les inhumations. Si l'on enterre les cadavres dans un bois, par exemple, il faut au préalable découper la mousse, puis en recouvrir la terre fraîchement retournée pour masquer le lieu, afin qu'il ne devienne pas un jour un endroit où pourrait se donner libre cours le fanatisme contre-révolutionnaire de la cléricaille. Notre appareil même ne doit absolument pas savoir où les individus ont été exécutés, personne ne doit rien savoir, car c'est de notre propre appareil qu'un jour ces informations pourraient bien sortir. »
C'est donc le 30 juillet 1937 que Nikolaï Iejov signa l' »Ordre opérationnel du commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l'U.R.S.S. n° 00447 sur l'opération de répression des ex-koulaks, criminels et autres éléments antisoviétiques », ou plus simplement nommé : « Opération koulak ». Cet Ordre n° 00447 conduisit à partir du 5 août 1937 à la rafle et l'arrestation d'environ 800 000 personnes, dont la moitié (la 1re catégorie) fut exécutée et l'autre moitié (la 2e catégorie), condamnée à une peine de 10 ans au Goulag.

P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
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