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Critique de gabb


gabb
21 décembre 2018
Ce devait être un choc, une fresque surpuissante, une odyssée fantastique, une "implacable parabole de la condition afro-américaine" qui allait faire date : en bref l'événement littéraire de l'année 2017 (en France).
C'est du moins ce qu'en disaient les critiques plutôt dithyrambiques qui fleurirent bien vite autour de ce 6eme roman de Colson Whitehead, auréolé des prestigieux Prix Pulitzer (2015) et National Book Award (2016).
Soit.

C'est sûr, Underground Railroad est un livre ambitieux, qui ne manque pas de qualités ! La dimension historique d'abord, le tableau atrocement réaliste des persécutions que subirent les esclaves dans les plantations de cotons sudistes. Effrayant.
L'approche originale de l'auteur aussi, qui pour évoquer l'authentique "Underground Railroad" (ce réseau secret conçu au début du XIXème siècle par les premiers abolitionnistes pour "exflitrer" des opprimés vers le Canada) imagine un véritable chemin de fer entièrement souterrain sur plusieurs milliers de kilomètres à travers les Etats-Unis, est elle aussi très intéressante et assez réussie ! Si elle a pu désarçonner certains lecteurs en quête de vraisemblance pratique et historique, en ce qui me concerne elle a fait mouche !
Enfin, les procédés d'ellipses et de flash-backs parfaitement maîtrisés dynamisent agréablement la narration.

"Mais que lui reproche-t-il donc à ce bouquin, à la fin ?" vous demandez-vous peut-être.
Ben figurez-vous que je sais pas trop. Peut-être des personnages un peu ternes, pas assez "incarnés"... Entre la courageuse Cora, évadée d'une infâme plantation de Georgie, et le cruel Ridgeway, chasseur d'esclaves lancé à ses trousses, il y avait pourtant deux rôles forts à pourvoir ! Las, tous deux manquent à mon goût de consistance (l'affreux méchant est même terriblement "sous-exploité") et l'on peine un peu à peu à suivre leurs tribulations entre Indiana, Tennessee et Caroline du Sud.
Je me suis parfois égaré en cours de route, j'ai eu à déplorer quelques longueurs et à me faire un peu violence pour achever les derniers chapitres. Fatigue de fin d'année, peut-être.

Il n'empêche qu'en parcourant avec Cora ces différents Etats aux positions variables vis à vis de l'esclavagisme, on apprend bien des choses sur les obscurs fondements du racisme qui façonna l'Amérique...
Placardés en ouverture de chaque chapitre, les fac-similés des annonces émises par de riches propriétaires terriens pour appeler à la capture d'esclaves évadés font froid dans le dos. Et que dire de ces pratiques médicales communément admises qui visèrent un jour à "stériliser les nègres" ? Et de ces mises en scène ignobles de "tableaux vivants" dans les musées, où de pauvres hères furent exposés comme des bêtes de foire ? Et de cette traque abjecte, émaillée d'humiliations et de dénonciations ?
Moi qui ai failli entamer cette critique en vous parlant d'une "chasse à l'homme", que j'ai ensuite voulu convertir en "chasse à la femme" ... j'ai dû me raviser en réalisant que pour Ridgeway et ses pairs, Cora ne fut qu'un gibier ordinaire, hors de l'espèce humaine...

Voilà donc un roman dur, violent, l'histoire d'une errance sans fin dans les entrailles nauséabondes de l'Amérique, vers une liberté toujours plus illusoire.
Un roman fort et original, auquel il aura quand même manqué un je-ne-sais-quoi de transcendance pour que j'y reconnaisse le best-seller incontournable qu'on nous a vendu.
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