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Critique de Dionysos89


Après trois éditions des Imaginales d'Épinal où l'anthologie était dirigée par l'organisatrice du festival, Stéphanie Nicot, celle-ci laisse la main à d'autres auteurs et charge, en 2012, le prolifique duo créateur Sylvie Miller – Lionel Davoust (et très bons nouvellistes) de faire perdurer le regroupement thématique de nouvelles qui paraît chaque année en mai. Là où Stéphanie Nicot dirigeait des anthologies titrées par des associations logiques comme « Rois et Capitaines », Sylvie Miller et Lionel Davoust ouvrent un arc d'anthologies qui vont associer une figure forte de la fantasy avec une créature fantastique. Ainsi, Reines et Dragons se place d'emblée dans cette optique très intéressante à lire comme à écrire.

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Comme ces douze nouvelles ont été lues au cours d'un Challenge courant sur une année entière, chacune d'elles a son propre petit paragraphe d'analyse.

Parmi les auteurs conviés à l'anthologie Reines et Dragons, il y en a peu que je ne connaissais pas d'avance ; Chantal Robillard fait partie du lot. Ecrivain, conservateur en bibliothèque et poète, elle semble avoir de multiples facettes qu'il est forcément difficile de cerner en peu de pages. Dans le Dit du Drégonjon et de son Elfrie, elle livre une très courte nouvelle particulièrement parlée et phrasée. Ce n'est pas pour rien que la préface de Sylvie Miller et Lionel Davoust, les deux anthologistes, on nous conseille de la lire à haute voix. Ils l'ont sûrement choisi comme ouverture de leur ouvrage parce qu'elle est accrocheuse justement par cet aspect-ci et par le fait d'être très court.
Avec l'incessante complainte « Drégonjon, Drégonjon, viens nous secourir ! », Chantal Robillard prend le risque de lasser le lecteur dès le départ en ressassant cette réplique. Cela prend heureusement place dans un contexte simple à saisir : de jeunes elfes invoquent Drégonjon pour qu'elles soient sauvées de leur situation délétère. Je vous laisserai juger de la thématique choisie qui, bien que désormais convenue, a toujours besoin d'être remise en avant au vu d'un certain patriarcat latent et traditionnel. Pour autant, même si l'orientation de l'anthologie est totalement respectée avec le dragon protecteur et la reine qui s'élève, je ne cesse de me questionner sur l'intérêt de quitter un joug pour un autre, de rejeter un enfermement pour une relation peut-être trop peu définie en fin de nouvelle...

Thomas Geha, alias Xavier Dollo, est déjà un auteur que je connais davantage. La saga Alone, le diptyque du Sabre de Sang ou bien American Fays en collaboration avec Anne Fakhouri sont autant d'ouvrages très appréciés à chaque critique, le tout étant parfaitement complété par de nombreuses nouvelles dans tous les genres de l'imaginaire.
Celle qu'il a proposée à Sylvie Miller et Lionel Davoust, « Chuchoteurs du Dragon », se déroule dans un monde médiéval de fantasy, le Royaume de l'Esflamme du Dragon, où les castes sont bien segmentées et les secrets bien gardés. Nous découvrons rapidement Hiodes, reine et héroïne, dans les bras de son amant Malwenn, guerrier d'élite. Leur amour va se retrouver confronté aux rêves par lesquels le fameux Dragon se lie aux monarques qu'il a choisis.
C'est un texte relativement classique que nous livre Thomas Geha, dans le microcosme de la fantasy médiévale sur le thème « Reines et Dragons », mais efficace. Il est toujours compliqué de faire ressentir l'onirisme de certaines situations et la façon dont il le fait rapproche plutôt cette oeuvre de l'univers du Sabre de sang, avant tout, avec une magie induite par les forces même qui anime son monde, qu'elles soient encore vivaces ou déliquescentes. C'est donc la trame de fond qui va surtout rester dans l'esprit du lecteur, après avoir terminé « Chuchoteurs du Dragon » : le choix des souverains par une créature fantastique au statut compliqué, le passage du titre de Chuchoteur à celui de Lié, etc.

Au tour d'Adrien Tomas, avec « Ophëa », de nous donner l'envie de découvrir sa vision des Reines et des Dragons. Il y dévoile une vision classique certes, sûrement à l'image de ses premiers romans (La Geste du Sixième Royaume ; La Maison des Mages), mais particulièrement divertissante et qui révèle, à la toute fin, un sel bien placé.
Ophëa est la jeune reine d'un royaume ayant récemment perdu son souverain, le chevaleresque Naïel, mort au combat face à la « Bête » qui terrorise les alentours. Forcée de concéder du pouvoir, Ophëa doit se résoudre, telle Pénélope dans l'Odyssée, à épouser, pour le bien du royaume, celui qui réussira à vaincre le Dragon (car c'en est un, et de belle taille) et à lui rapporter sa tête. Pour venger le souverain précédent, pour acquérir encore plus de pouvoir, pour la gloire, pour l'honneur, pour l'amour même, les seigneurs du plus puissant au plus humble défilent devant la créature pour l'affronter plus ou moins courageusement. Outre un classicisme encouragé par le thème de départ, certains pourraient tiquer sur un léger abus des comparaisons au premier abord, mais finalement le récit prend le pas sur le reste et on chevauche l'intrigue comme ces chevaliers leur monture.
La nouvelle d'Adrien Tomas suit raisonnablement une structure en trois parties cohérentes : l'exposition (une situation mal barrée qui pose un objectif clair, net et précis), le déroulement de l'action (si son état d'esprit était morne, le lecteur reprend du baume au coeur, tandis que si le début avait été déjà très apprécié, ces moments de bravoure ou de lâcheté n'en sont que meilleurs), et enfin le dénouement (que je ne dévoilerais pas ici, évidemment). L'auteur prend totalement au mot le titre de l'anthologie et son intention est tout à fait louable, car elle pourrait servir, en ce début d'anthologie, de maître étalon aux nouvelles qui suivent.

Anne Fakhouri, auteur du Clairvoyage, de Narcogenèse et d'American Fays, a l'habitude du récit initiatique et de la mise en place du sentiment amoureux ; elle utilise cela dans sa nouvelle « Au coeur du dragon ».
Jil et Oeuf de Dragon font partie d'un peuple vivant au pied de montagnes habitées par des dragons plus ou moins mystérieux (il en existe plusieurs espèces ce qui complexifie l'affaire). Ceux-ci sont à la fois dangereux et pourvoyeurs de matières premières bien utiles pour le fonctionnement de la société qui les côtoient, c'est pourquoi ils constituent un défi pour les « grimpeurs », caste de casse-cous dont le rite d'initiation, d'entrée, est bien sûr de grimper dans un des repères draconiques pour en ramener un trophée. L'amitié tendancieuse nouée dès le départ entre Jil et Oeuf du Dragon sera évidemment l'enjeu de cette quête.
Clairement, c'est davantage la figure du dragon dans toute sa complexité qui est développée que celle de la reine, mais ce n'est pas un constat qui pose franchement problème ici, puisque la nouvelle se fonde davantage sur la compréhension (ou non, pour le coup) de l'essence même des dragons, et de ce qui les relie à ces « grimpeurs ». Dans le style, j'ai été moins convaincu, car de ce que j'ai déjà lu d'elle, Anne Fakhouri m'a habitué à plus de répondant, humoristique par exemple ; bien sûr, il y a quelques lignes de dialogue croustillantes, mais je me demande si c'est une nouvelle à conseiller pour découvrir cette auteur, au moins pour la construction des sentiments entre les personnages, là oui.

Justine Niogret nous offre, elle, une bouffée d'air frais à respirer avec attention. Sa nouvelle « Achab était amoureux » nous étonne dès le départ avec non pas un, mais deux titres mystérieux. En effet, « Achab était amoureux » figure au sommaire, ainsi que dans la mise en page ; toutefois, le titre au début de la nouvelle est en fait « La Grande Déesse de fer de la Miséricorde » ! Apparemment, c'est la seule nouvelle de Justine Niogret à avoir vu son titre accepter par les anthologistes… et puis finalement non, voilà tout ! c'est plutôt « Achab était amoureux » qui fut retenu. Mystère de l'édition d'une anthologie...
L'auteur de Chien du Heaume et de Mordre le Bouclier, comme à son habitude, réussit dès les premières lignes à tourner le thème imposé (des reines et des dragons) dans une direction toute personnelle. le climat est rude, la vie dure et les rencontres pas toujours heureuses. Justine Niogret cultive là le dilemme entre le confort de la proximité et l'aventure vers l'inconnu, entre l'assurance et la tentation. le décor mis en scène autour de ce duo improbable (la jeune Reine et le sage dragon retiré du monde) est clairement beau. Et, après lecture, on comprend bien tout l'épais mystère entourant le titre de cette courte nouvelle : « La Grande Déesse de fer de la Miséricorde » expose une justification sous forme de métaphore au fait que, bel et bien, « Achab était amoureux ». Il y aura donc au moins une référence que je cerne pleinement, celle du destin liant un chasseur et sa proie, une personne et son destin, un amour et son objet.

Comme très souvent, Pierre Bordage, qu'on ne présente plus, fait une petite incursion dans la fantasy relativement classique pour offrir sa contribution à l'anthologie officielle des Imaginales. Pour le thème des reines et des dragons, c'est sa nouvelle « Morflam » qui nous narre la rencontre de l'une et de l'autre.
Aux confins du royaume de Mandraor, surgit à nouveau le dragon Morflam ; à Saordor, la capitale, la toute jeune reine Hoguilde, déjà particulièrement catégorique dans ses premiers choix politiques, doit affronter cette nouvelle menace pour son royaume avec fermeté malgré son jeune âge et surtout en s'affirmant en tant que reine. La fine fleur des chevaliers partie au combat, Hoguilde finit par fuir sa capitale et ses rencontres en chemin vont décider de sa destinée royale.
Pierre Bordage nous emmène ainsi dans un monde médiéval-fantastique assez classique avec une héroïne forte mais très peu expérimentée et ses rencontres se révèlent cousues de fil blanc. Malgré tout, il est toujours aussi fluide de lire des écrits de Pierre Bordage ; les personnalités s'installent vite et l'intrigue suit tranquillement son cours. Si tout le monde n'adhérera pas à la réflexion qui sous-tend toute la fin du récit, cette nouvelle se laissera lire sans complexe.

Charlotte Bousquet, auteur notamment de la trilogie de l'Archipel des Numinées, propose pour l'anthologie Reines et Dragons une variation déjà beaucoup moins classique et évidente que certains de ses collègues. Avec « Azr'Khila », nous plongeons dans d'antiques déserts arides et mortels.
Pour la pauvre Yaaza, femme âgée du désert, la vie n'est pas simple, c'est un euphémisme. Suite au massacre de sa tribu lors d'une razzia des cavaliers teshites avec force pillages et viols, elle se retrouve seule avec sa vieille chèvre Buruyi. Divagations et envies de vengeance se mêlent pour nous mener vers une magie vaudou autour de la déesse-reine Maysa Khila et son représentant-vautour. le mystère emplit bien vite les pages de cette nouvelle, d'autant plus que le lecteur peut légitimement chercher assez loin la relation reine-dragon, mais au moins, grâce à Charlotte Bousquet, nous sortons largement de l'épisode classiquement classique choisi par certains de ses collègues, pour plutôt filer vers une variation atypique.
Le style de Charlotte Bousquet, dans cette nouvelle en tout cas, n'est pas fluide du tout, et ce pour une bonne raison, puisqu'elle est, semble-t-il, dans une recherche constante du mot juste ; et, de fait, l'ensemble apparaît un peu moins évident qu'à l'accoutumée dans une nouvelle normalement rapidement lue. Avec ses non-dits et ses choix scénaristiques, l'auteur donne, au fond, l'impression d'offrir deux histoires en une, avec ce choix final relevant de deux hypothèses possibles. Au lecteur d'opter pour sa préférée...

Vincent Gessler, auteur suisse de Cygnis (Prix Julia-Verlanger et Prix Utopiales européen 2012), est déjà quelqu'un de plus récent, de plus discret aussi que certains de ses camarades de cette anthologie. Plus spécialisé dans la science-fiction au départ, il tente avec « Où vont les reines » une plongée dans la fantasy bien épurée.
Alors donc « Où vont les reines » ? « Dans ton cul », dirait l'autre. Pourtant, ce n'est pas là où va être envoyée Ae par sa mère. Alors qu'elle découvre sa maternité, sa mère, la reine d'Akhit, la dépêche dans l'endroit secret où vont les souveraines chaque année à partir de leur premier enfantement. Car, en fait, les reines d'Akhit sont des tueuses de dragon et le fait de partir en étant enceinte leur accorde le droit d'atteindre un sanctuaire de dragonnes.
Sans dévoiler le dénouement, on peut regretter un petit manque d'évolution et d'enjeux que les mots choisis ne gomment pas vraiment : Ae a le mérite de découvrir de quoi nous tenir en haleine pendant une nouvelle, mais nous n'allons pas non plus énormément loin dans la réflexion autour de la situation. Heureusement, nous sommes totalement dans le thème de l'anthologie : de vraies reines, majestueuses et fortes, face à de vrais dragons, puissants et reptiliens.

Érik Wietzel est un auteur déjà bien rompu à la fantasy pure (La Porte des Limbes, Cycle d'Elamia, Les Dragons de la Cité rouge) et sa nouvelle « le Monstre de Westerham » ne dépareille pas de ses habitudes d'écriture (en matière de fantasy, car il est aussi largement passé à l'écriture de thriller depuis).
Encore une fois, nous tombons sur une étrangeté dans le titre : « le Monstre de Westerham » s'affiche en tête de la nouvelle et dans la table des matières, pourtant nous trouvons « le Prix de la trahison » en haut de la mise en page. Étrange donc, sachant que les deux titres sont suffisamment mystérieux sur le ton de la nouvelle ; peut-être est-ce là un problème semblable à celui rencontré par Justine Niogret pour « Achab était amoureux / « La Grande Déesse de fer de la Miséricorde ».
D'abord, nous suivons le duo Askelle et Klarion : la première, malgré les conseils et envies de son frère, part dans la quête d'un Crâne de Valeur. D'un autre côté, nous rencontrons Ayline, souveraine d'Arnilton mais reine réfugiée à Straton, qui cherche à reconquérir sa capitale. Les deux quêtes vont inévitablement se croiser en un dénouement bien trouvé.
Érik Wietzel a suffisamment bien tourné ses descriptions pour éviter toute conclusion trop rapide et finalement, n'est-ce pas dire qu'une nouvelle est bonne quand on ne peut pas décemment en dévoiler davantage ? Il réussit quand même en quelques pages à mettre dans son récit à la fois une petite mythologie, quelques fausses pistes et une conclusion abrupte.

S'il y a bien un auteur qui sait créer des mondes imaginaires en quelques lignes, c'est bien Mathieu Gaborit. Alors découvrir une de ses nouvelles, ici « Under a Lilac Tree », est toujours intrigant.
Eveilleuse est la reine d'un monde étrange. Elle évolue entre un monde tangible et un monde intangible. Son parcours dans cette nouvelle interroge la place du lecteur et, par un onirisme trouble, fait se briser la réalité mais aussi, parfois, se flouter la compréhension. La mise en abîme de la maladie, du pouvoir des livres et de l'imaginaire rend cette nouvelle encore plus englobante et provoque la nécessité de la relire avec un oeil renouvelé.
C'est donc un petit récit finalement assez compliqué dans sa structure et son style que nous livre Mathieu Gaborit (en même temps, nous ne sommes pas là que pour lire du facile et du jetable), mais un récit qui tente de nous parler de l'intérêt d'accepter le statut de Muse au nom des rêves qui en découlent, de la vie que cela promet. Ambitieux.

C'est au tour de Nathalie Dau de nous faire connaître sa vision du lien entre dragon et reine, à l'aide de son écriture d'un fantastique sensible et émouvant.
Dans « Cet oeil brillant qui la fixait », c'est un peu « quand Gwendolyn rencontre Tiainrug ». le souci, dans ce royaume médiéval-fantastique, c'est que l'une fait partie du peuple du lac et que l'autre appartient au peuple de la montagne. Tous deux sont les Créatures représentant et menant leur camp au combat, du moins normalement, car quand les sentiments s'en mêlent, peut-être que l'origine de cette guerre inepte sera enfin dévoilée.
Nathalie Dau met à profit son science du sentiment en fantasy pour distiller une nouvelle où tous les côtés habituellement niais de ce genre de romance sont parfaitement en adéquation avec la situation. Les enjeux sont clairs : que reste-t-il de nous quand les amours et les transformations ont fait leur oeuvre ? Ces deux Créatures, aux mutations reptiliennes, déjouent les pronostics lancés par chacun de leurs camps.

L'anthologie met Mélanie
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